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Mots-clés

effet héliothermique lacs salés lac salé convection stratification effet de serre

De mystérieux lacs salés ?

07/12/2005

Gabrielle Bonnet

Gabrielle Bonnet

Résumé

La température de l'eau de certains lacs salés est plus élevée en profondeur qu'en surface, sans source d'eau chaude. Pourquoi ?


La température de l'eau de certains lacs salés est plus élevée en profondeur qu'en surface, sans source d'eau chaude. Pourquoi ?

Le lac Ursu près du village Sovata en Roumanie, le "lac solaire" près d'Eilat au Sinaï, et un des fjords norvégiens, possèdent tous en commun une caractéristique étonnante : la température de l'eau de ces lacs salés est plus élevée en profondeur qu'en surface... Imaginez-vous en train de vous baigner dans un lac à une température agréable : vous plongez, et là vous vous brûlez : l'eau est à 60°C à ne serait-ce qu'un ou deux mètres de profondeur...

Le lac Ursu, en Roumanie

Figure 1. 


Le "lac solaire" dans le Sinaï...

Figure 2. 


A quoi cela peut-il être dû ? Pouvez-vous reproduire ces conditions chez vous ? On précise qu'il n'y a pas de source d'eau chaude sourdant en profondeur à l'intérieur de ces lacs...

La réponse :

Un effet de serre important...

Si l'on fait une recherche à propos de ces lacs, on voit apparaître un effet appelé "effet héliothermique"... Cet effet, donné en guise d'explication, ressemble fort à l'effet de serre que nous connaissons bien par ailleurs.

L'eau des lacs est donc chauffée par le Soleil. La nuit (ou l'hiver), lorsque cette source de chaleur est absente (ou beaucoup moins importante), le lac tend à se refroidir par rayonnement. Toutefois, comme l'eau chaude du lac rayonne dans l'infrarouge et que l'eau est très opaque aux infrarouges, seule la couche superficielle se refroidit. Cette couche isole les couches plus profondes du lac de l'atmosphère extérieure et le lac ne se refroidit pas en profondeur...

... sans brassage de l'eau par convection

Evidemment, cette première partie de l'explication n'est valide que dans la mesure où il n'y a pas brassage de l'eau du lac par convection. L'eau des lacs ordinaire comme celle des lacs très salés est très opaque aux infrarouges. Comme dans le cas des lacs "mystérieux" au Sinaï ou en Roumanie dont nous avons parlé, la couche superficielle de l'eau d'un lac ordinaire "devrait" donc isoler les couches plus profondes du lac de l'air extérieur. Cependant, dans un lac ordinaire, la convection accomplit un brassage très efficace de l'eau du lac : lorsque la couche superficielle se refroidit, elle devient plus dense, elle tend donc à plonger en profondeur... ce brassage est ce qui permet à tout le lac de se refroidir, en dépit de l'obstacle que constitue une très petite couche d'eau vis-à-vis des infrarouges.

Le "lac solaire" dans le Sinaï...

Figure 3. 


Ce qui distingue les lacs très salés auxquels nous nous intéressons des lacs ordinaires est la stratification de ces lacs en couches de salinité différente, la couche profonde étant sensiblement plus salée que la couche superficielle. L'eau profonde est donc sensiblement plus dense que l'eau de surface, et, lorsque l'eau de surface se refroidit, tant que la différence de température entre l'eau de surface et l'eau profonde n'est pas trop importante, la densité de la couche superficielle augmente mais reste inférieure à celle de l'eau que l'on trouve plus en profondeur. Dans ces conditions, il n'y a pas brassage de la couche superficielle et de la couche profonde. L'eau profonde, contrairement à l'eau de surface, est réchauffée par le Soleil, mais n'est pas refroidie par l'air de la nuit (ou la température hivernale). Ainsi, la température est plus élevée en profondeur qu'en surface.

Reproduire le phénomène au laboratoire ?

Vous pouvez aisément reproduire le phénomène au laboratoire. Il suffit de fabriquer une solution très salée (par exemple, une solution aqueuse quasiment saturée en sel). Sur le dessus de cette solution, faire couler sans mélanger les deux une couche d'eau douce. Vous pouvez réchauffer cela avec une lampe ordinaire (elle émettra plus d'infrarouges que le soleil, mais elle permet tout de même d'obtenir des résultats sensibles). Une fois l'eau bien réchauffée, laisser l'ensemble se refroidir à l'air libre. Au bout d'un certain temps, vous devriez constater que l'eau profonde est plus chaude que l'eau de surface.

Avec environ deux litres d'eau salée quasiment saturée et une couche d'un centimètre d'eau douce par-dessus dans un saladier, on peut facilement obtenir 3°C de différence.

Pour rendre la différence entre les couches plus visibles, vous pouvez utiliser un liquide coloré (mais moins dense que l'eau salée) à la place de l'eau !

Vous pouvez aussi constater l'efficacité de la stratification : si vous chauffez le liquide par en-dessous, vous allez voir persister la séparation entre les couches de liquide pendant un certain temps, bien que le liquide profond soit passablement plus chaud que celui de surface.

Figure 4. 


Figure 5. 


À gauche : jus de myrtille sur de l'eau saturée chauffée : la stratification persiste encore, à droite la stratification a disparu

 

Comment ces lacs se sont-ils retrouvés si stratifiés ?

La clef du comportement spécifique de ces lacs par rapport aux lacs ordinaires, nous venons de le voir, c'est la stratification forte de ces lacs en densité, stratification qui empêche le brassage par convection qui a lieu dans un lac ordinaire qui se refroidit.

Nous n'avons pas de réponse certaine en ce qui concerne l'origine de la stratification de ces lacs : nous savons toutefois que plusieurs lacs en Roumanie sont d'anciennes mines de sel inondées (le sel se trouve donc en profondeur), tandis qu'au Sinaï, le Soleil concentre l'eau du lac pendant l'été, et un apport depuis la mer à travers la barrière qui sépare le lac de cette dernière amène de l'eau moins salée au lac.

Nous n'avons donc pas de certitude en ce qui concerne l'origine de la stratification, mais nous pouvons identifier deux causes possibles susceptibles d'expliquer dans le cas de ces deux lacs les fortes différences de salinité constatées entre la surface du lac et l'eau qui se trouve en profondeur...

Pour citer cet article :

De mystérieux lacs salés ?, Gabrielle Bonnet, décembre 2005. CultureSciences Physique - ISSN 2554-876X, https://culturesciencesphysique.ens-lyon.fr/ressource/QSLacsMysterieux.xml

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