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Formation de tours granulaires ou comment faire des chateaux de sable en laboratoire

09/09/2013

Christophe Perge

Laboratoire Junior « Initiation à la Dynamique des Fluides Planétaires », Laboratoire de Physique, ENS Lyon

Baptiste Bourget

Laboratoire Junior « Initiation à la Dynamique des Fluides Planétaires », Laboratoire de Physique, ENS Lyon
Photographies :

Baptiste Journaux

Laboratoire Junior « Initiation à la Dynamique des Fluides Planétaires », Laboratoire de Géologie de Lyon, ENS Lyon

Delphine Chareyron

Résumé

Tous les ingrédients pour former des tours granulaires !


1. Introduction

A l’instar de la sève qui monte dans les arbustes, des feuilles de papier absorbant qui épongent l’eau ou encore du morceau de sucre qui s’imbibe largement lorsqu’on le trempe à peine dans une tasse de café, les tours granulaires que nous allons décrire ici sont une illustration du phénomène de capillarité.

Durant notre enfance ou encore aujourd’hui nous nous sommes tous amusés à faire des châteaux de sable sur la plage. Très rapidement nous nous sommes aperçus que si l’on voulait que notre édifice tienne il fallait utiliser du sable mouillé, beaucoup plus cohésif que le sable sec qui lui s’écoule. De la même manière si l’on mettait trop d’eau, le sable devenait alors trop liquide et le château s’écroulait. L’explication résulte dans l’existence de forces capillaires qui assurent la cohésion du sable mouillé mais qui ne sont efficaces que si la quantité d’eau ajoutée est bien choisie.

Enfin vous avez surement remarqué qu’en prenant du sable mouillé entre nos mains, on pouvait former par un goutte-à-goutte des édifices élancés et relativement stables que nous appellerons par la suite des tours granulaires.

Nous nous proposons ici de réaliser ces expériences et de montrer qu'il n'est pas nécessaire de se trouver dans un laboratoire de recherche pour fabriquer des tours granulaires.

Nous allons donc dans un premier temps exposer notre mode opératoire, puis nous donnerons quelques outils pour comprendre comment et pourquoi ces tours sont si stables.

2. L'expérience des tours granulaires

a) Dispositif expérimental

Inspirés des travaux récents de Julien Chopin[1], le dispositif expérimental est présenté sur la figure 1. Il est constitué d'une seringue de volume 60 mL dans laquelle ont été introduits 5 mL de billes de verre de diamètre moyen 300 µm et 50 mL d'un mélange eau-glycérol (50 % - 50 % en volume). A noter que l’expérience fonctionnerait très bien avec uniquement de l’eau. Ici le glycérol a pour effet d’accélérer le drainage au sein de la tour et ainsi permettre d'utiliser un débit plus grand pour réaliser l’expérience plus rapidement. Nous reviendrons sur ce point un peu plus loin dans la discussion.

La seringue est située à une hauteur H=100 mm d'un lit sec de billes de verre d'une épaisseur h=10 mm disposé dans une boite de Petri.

Dispositif expérimental

La formation d'une goutte granulaire (figure 2 (a)) ainsi que l'élaboration d'une tour granulaire (figure 2 (b)) est filmée et photographiée à l'aide d'un appareil photo numérique.

b) Formation d'une goutte granulaire

Lorsque l'on appuie sur le piston de la seringue (figure 3), le fluide est poussé vers l'orifice de la seringue et entraîne avec lui des billes de verre (ou grains de sable). Une goutte granulaire est donc un mélange d'eau-glycérol et de billes de verre. Nous pouvons clairement voir sur la figure 2 (a) la présence d'un grand nombre de grains enveloppés par une fine couche de fluide. Nous verrons ultérieurement qu'il est important d'avoir une grande quantité de grains au sein de la goutte si l'on veut former une tour granulaire stable.


c) Elaboration de la tour granulaire

En exerçant une pression constante sur le poussoir de la seringue on forme un goutte-à-goutte avec un débit qui est d'autant plus grand que la pression exercée est grande. Le lit de grain étant sec, le mélange eau-glycérol en excès dans les gouttes va être aspiré dans la coupelle. On dit alors que le mélange eau-glycérol est drainé depuis la goutte granulaire initiale jusqu'au lit de grain, en passant par la colonne granulaire (figure 4).


Cependant le drainage n'est pas total, une partie du fluide reste autour des billes et forme alors ce que l'on appelle des ponts capillaires (figure 5).

Ces ponts exercent une force de rappel (dite force capillaire F) entre chaque bille et assurent ainsi la stabilité de l'ensemble. La colonne est donc stable si l’excès de fluide présent dans les gouttes est rapidement drainé vers la zone sèche du lit de grain.

Pont capillaire

Figure 5. Pont capillaire


L'empilement de ces gouttes forme une tour granulaire d'une hauteur pouvant varier suivant l'expérience : 5 à 10 cm en général. Nous pouvons noter que l'écrasement des gouttes est plus important à la base de la tour qu'en haut de la tour. Ceci est dû à une hauteur de chute plus grande, un temps de drainage plus long et surtout une masse s'appliquant sur les gouttes granulaires plus importante (figure 6 et figure 7). La forme de la goutte granulaire au sein de la tour est fixée par d’une part son impact et d’autre part par l’impact de la goutte suivante. Passé ce cap, la goutte n’évolue plus. On note de ce fait une goutte plus étalée en bas de la tour qu’en haut.

Après quelques gouttes le bas de la tour cesse de se tasser, l’impact ressenti est plus faible qu’au début de l'expérience. De plus, la compacité atteinte au bas de la tour après quelques gouttes devient maximale c’est pourquoi la base de la tour n’évolue plus.


La figure 7 présente deux stuctures de tours réalisées soit avec des billes de verre (a) soit avec des grains de sable (b).

La différence de structure entre les deux expériences peut s’expliquer de plusieurs manières. L’expérience réalisée avec les billes de verre présente une quantité d’eau au sein de la goutte granulaire plus importante c’est pourquoi son étalement au sein de la tour est plus grand. De plus les billes de verre sont beaucoup plus mono-disperses et sphériques que les grains de sable, de ce fait elles roulent plus les unes sur les autres et frottent moins. Les grains de sable, à l'opposé, présentent une plus grande rugosité et permettent alors de former les boules de sable observées sur la figure (b).

Tour granulaires réalisées avec (a) des billes de verre (200-250µm) et (b) des grains de sable (50-300µm)

Les deux tours ont une taille comparable d’environ 7cm.  


3. Discussion

Plusieurs paramètres peuvent jouer sur la stabilité de la tour granulaire. Nous avons choisi d'en discuter trois.

  • La proportion du mélange eau-glycérol. Le glycérol a pour effet d'accélérer le drainage du liquide dans la tour. Le débit du goutte-à-goutte pourra donc être augmenté pour une plus grande proportion de glycérol dans le mélange.
  • La hauteur de chute des gouttes, (ici H=100 mm) joue sur leur vitesse d'impact. Plus la hauteur de chute est grande et plus la vitesse de la goutte au moment de l'impact est grande. Si cette vitesse d'impact est trop grande, le choc sera suffisant pour déstabiliser la colonne dans son ensemble et provoquer ainsi son effondrement. Nous remarquons ici que cette hauteur de chute des gouttes diminue au cours de l'expérience. En effet la seringue étant fixée, comme la tour grandit à chaque goutte la différence d'altitude entre la seringue et le haut de la tour diminue.
  • Le débit du goutte-à-goutte, qui entre en compétition avec le drainage au sein de la tour. En effet, il faut laisser le temps au liquide en excès dans la tour afin qu'il passe dans le substrat ou qu'il s'évapore pour permettre aux forces de capillarité d'agir. De ce fait un trop grand débit aura pour conséquence de faire s'écrouler la tour granulaire plus tôt. Pour les films que nous avons réalisés nous avons choisi un débit cossrepondant à une goutte toutes les 15 s.

4. Conclusion

En conclusion, reproduire cette expérience chez soi est relativement facile. Ici nous avons principalement travaillé avec des billes de verre calibrées mais la figure 7 montre qu'avec du sable de plage nous obtenons une structure légèrement différente. Cette différence entre les deux expériences peut s’expliquer de plusieurs manières. L’expérience réalisée avec les billes de verre présentait une quantité d’eau au sein de la goutte granulaire plus importante, c’est pourquoi son étalement au sein de la tour est plus grand. De plus les billes de verre sont beaucoup plus mono-disperses et sphériques que les grains de sable, de ce fait elles roulent plus les unes sur les autres et frottent moins. Les grains de sable présentent, eux, une rugosité plus grande et permettent ainsi de former les boules de sable observées sur la figure 7 (b).

Ce travail met en avant l'importance des forces capillaires dans la nature et principalement ici dans la construction de châteaux de sable. En effet ce sont les ponts capillaires entre les grains qui expliquent la stabilité de ces tours granulaires et assurent la cohésion de l'édifice.

Référence :[1] J. Chopin and A. Kudrolli. Building designed granular towers one drop at a time. PRL, 107, (2011).

Pour citer cet article :

Formation de tours granulaires ou comment faire des chateaux de sable en laboratoire, Christophe Perge, Baptiste Bourget, septembre 2013. CultureSciences Physique - ISSN 2554-876X, https://culturesciencesphysique.ens-lyon.fr/ressource/Tour-granulaire-Perge.xml

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