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Classification
Deux raies infrarouges : indice de dégagement de méthane sur la planète Mars
25/05/2009
Résumé
Un article du dossier « La spectroscopie en astronomie ». Analyse de spectres infrarouges indiquant la présence de méthane dans l'atmosphère de la planète Mars.
Introduction
La figure 1 montre des spectres infrarouges de la planète Mars, enregistrés en mars 2003 en pointant différentes zones de la surface planétaire de Mars. Les observations furent effectuées du sol à l'observatoire du Mauna Kea (Hawaï). Les deux raies détectées, notées R1 et R0, sont des raies caractéristiques de vibration-rotation de la molécule de méthane (CH4). Elles révèlent la présence et la répartition de méthane dans l'atmosphère de Mars. Les auteurs Mumma et al (2009) analysent ces observations, avec d'autres enregistrées sur plusieurs années. Ils concluent qu'il y a un dégagement continu de méthane sur la planète, principalement autour des sites volcaniques.
Un article du site Planet-Terre « Dégagement de méthane sur Mars, connaissances terrestres et hypothèses martiennes » de Pierre Thomas détaille le sujet du point de vue de la géologie, notamment les mécanismes de production du méthane sur Mars et une conclusion importante : il existerait une récente activité géochimique sur la planète Mars.
Nous nous intéressons à cet exemple, pour expliquer les méthodes des observations spectrographiques réalisées en infrarouge (longueurs d'onde de l'ordre de 3 μm), en illustrer les performances et montrer la puissance de l'analyse des spectres moléculaires pour déterminer les caractéristiques d'une atmosphère planétaire.
Compléments à la légende de la figure donnés par les auteurs :
Partie A : la surface de Mars est cartographiée, telle qu'elle apparaissait lors des observations. Son diamètre apparent est alors de 7 secondes d'arc. Les repères * et + montrent les points de la surface de Mars où le Soleil et la Terre sont au zénith. La zone grisée indique la partie nocturne de la planète. Les courbes de niveau du relief martien sont tracées à intervalles de 3 km. Le schéma indique la trace N-S de la fente du spectrographe, orientée nord-sud sur le méridien central. Onze spectres sont pris le long de cette fente à des intervalles de 0,6 secondes d'arc, entre les latitudes 70°N et 70°S, sélectionnant des zones de Mars dont l'extension est de 586 km selon la direction N-S et 3215 km selon la direction E-O.
Parties B,C et D,E : les différents spectres montrent l'absorption résiduelle de l'atmosphère de Mars, après correction de celle de l'atmosphère terrestre (portée sur la courbe notée « Transmittance »). Les enregistrements ont été obtenus le 19 et 20 mars 2003 dans deux domaines spectraux voisins, chacun révélant l'une des deux raies infrarouges du méthane (CH4-R1 et CH4-R0) ainsi que plusieurs raies de la vapeur d'eau (H2O). Les traces D et E montrent les mêmes spectres d'absorption en niveaux de gris.
Conditions des observations : télescope, spectrographe, éphémérides
Les observations ont été réalisées sur le Keck, télescope de 10 m de diamètre, situé au sommet du Mauna Kea à Hawaï ( http://keckobservatory.org/ ) et le spectrographe NIRSPEC pour l'infrarouge proche (http://www2.keck.hawaii.edu/inst/nirspec/). La résolution spectrale est λ/Δλ = 25 000, et la résolution spatiale définie par la largeur de fente qui sélectionne 0,43 arcsec.
On trouve les caractéristiques générales de la planète Mars et les éphémérides sur le site de l'Imcce. Le 19 mars 2003 au lieu de l'observatoire du Mauna Kea (code 568), sont données les longitudes héliocentriques de la Terre (178°), et de Mars (239°), soit une différence de 61°, compatible avec les points * et + du schéma A.
On peut en déduire que la planète Mars est alors à 200 millions de km de la Terre et vérifier que le diamètre apparent du disque martien est de 7 secondes d'arc. La vitesse de la planète Mars par rapport à la Terre, projetée sur la ligne de visée est alors de 15 km.s-1.
Les observations ont été obtenues le 19 mars 2003 entre 15h41 et 18h50 (heure UT) et le 20 mars 2003 entre 15h34 et 18h44. La planète Mars passait au méridien vers 17h et le soleil se levait vers 16h30.
On notera aussi que les mesures sont faites pendant l'été martien dans l'hémisphère Nord, la nuit étant plus courte dans cette hémisphère (cf. figure 1, A).
Interprétation des spectres infra-rouge
Les spectres B et C correspondent à deux zones spectrales voisines observées à un jour d'écart. La variable spectrale notée « Frequency » est en réalité la valeur du nombre d'onde, inverse de la longueur d'onde et proportionnelle à la fréquence. L'unité du cm-1 est d'usage courant en spectroscopie moléculaire pour donner les énergies des niveaux et situer les transitions.
La valeur de 3030 cm-1 correspond à la longueur d'onde de 3,3 μm du domaine de l'infrarouge proche.
Le rayonnement infrarouge enregistré par un télescope terrestre a traversé deux fois l'atmosphère martienne, puisque la planète ne fait que rediffuser la lumière solaire, et une fois l'atmosphère terrestre. La courbe du haut (notée « Transmittance ») montre le spectre d'absorption de l'atmosphère terrestre. Il est important de le modéliser avec précision, car il faut éliminer les effets de l'atmosphère terrestre pour obtenir sur les spectres B et C les seuls effets d'absorption par l'atmosphère de Mars.
Les onze spectres B et C ont une échelle dilatée de 25 à 10 fois, ce qui est nécessaire pour révéler les raies d'absorption, notamment les raies de méthane notées R1 (3038,50 cm-1) et R0 (3028,75 cm-1). L'atmosphère de Mars donne des raies d'absorption beaucoup plus faibles que celles dues à l'atmosphère terrestre. D'une part la pression y est plus faible : le rapport de la pression sur Mars à la pression terrestre est de l'ordre de 0,007. D'autre part, la proportion de CH4 et de H2O est aussi très faible, l'atmosphère de Mars étant majoritairement constituée de CO2 (95,3%).
On notera le décalage Doppler de 0,15 cm-1 entre les raies terrestres et martiennes : il correspond à environ 15 km.s-1 de vitesse longitudinale relative entre les deux planètes à l'époque de la mesure, comme prévu par les éphémérides.
Deux raies d'absorption du méthane, R0 et R1
D'une manière générale les spectres infrarouges des molécules sont produits par des transitions entre des niveaux d'énergie vibrationnelle, de nombre quantique v. Les énergies sont quantifiées selon la formule E(v) = ωe(v + 1/2) complétée par des corrections d'ordre supérieur. Les valeurs de ωe sont tabulées pour les différentes molécules et se situent généralement dans le domaine 1000 à 5000 cm-1.
Pour un état vibrationnel donné, l'énergie d'une molécule prend différentes valeurs selon l'état de rotation de la molécule. Les énergies supplémentaires de rotation Er(J) sont également quantifiées via le nombre quantique J associé au moment cinétique de la molécule. On a au premier ordre Er(J) = B J(J+1), la constante B étant en général plus petite que ωe, de l'ordre de 10 à 50 cm-1. C'est en effet dans le domaine des ondes millimétriques qu'apparaissent des transitions de rotation pure, à l'intérieur d'un même état v.
Les bandes de vibration-rotation notés « ν3 » de la molécule CH4 sont répertoriées (par exemple par les bases de références très complètes HITRAN ou GEISA) avec la valeur ωe = 3019 cm-1. Les transitions de vibration-rotation sont pour R1 : transition entre les états rotationnels J'' = 1 à J' = 2, au nombre d'onde 3038,50 cm-1 ; pour R0 : transition entre les états rotationnels J'' = 0 à J' = 1, au nombre d'onde 3028,75 cm-1.
Analyse de la quantité de méthane produite sur Mars
À partir des intensités des raies R1 et R0 de CH4 enregistrées (spectres B et C) et connaissant leurs probabilités de transition, les auteurs déduisent la colonne-densité N de méthane dans l'atmosphère de Mars comprise entre 50 et 150 x 10+18 m-2 entre la latitude -60° et la latitude +60°. La valeur de N est définie comme l'intégrale de la densité de molécules sur l'épaisseur de l'atmosphère. Elle conduit à évaluer entre 10 et 30 x 10-9 la proportion de méthane par rapport aux autres molécules, connaissant la colonne-densité de CO2, composant majoritaire de l'atmosphère.
Conclusion
L'article de Mumma et al. fait suite à de nombreux essais de détection quantitative de méthane dans l'atmosphère de Mars depuis plus de dix ans. La figure 1 résume les observations spectrales qui donnent une conclusion ferme sur la présence et la production récente de ce gaz sur Mars.
En explicitant les méthodes d'observation et les étapes de l'analyse de ces spectres infrarouges, nous illustrons l'importance des performances que permettent les progrès de la physique : ils concernent les techniques de la spectrographie, résolution et sensibilité, la précision du pointage sur la surface de la planète, la fiabilité des modèles précis de l'absorption par l'atmosphère terrestre et l'accès généralisé aux données fondamentales de spectroscopie moléculaire.
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Pour citer cet article :
Deux raies infrarouges : indice de dégagement de méthane sur la planète Mars, Marie-Christine Artru, mai 2009. CultureSciences Physique - ISSN 2554-876X, https://culturesciencesphysique.ens-lyon.fr/ressource/Spectre-methane-Mars.xml