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Aquas diffs
Lorsque l'eau est source d'équations différentielles...
22/10/2021
Résumé
Cet article est co-publié avec le site Culture Math. Dans ce document, nous nous interessons à la vidange d'un récipient et aux équations différentielles qui le modélisent.
Table des matières
Introduction - L'exemple de la vidange
Au lycée comme à l’université, il est classique d’introduire les équations différentielles en invoquant la charge d’un condensateur en électricité, l’oscillation du pendule en mécanique, la décroissance radioactive ou encore la cinétique d’une réaction chimique. Pour motivantes qu’elles soient, ces situations nécessitent un bagage scientifique solide doublé d’un réel sens physique [1, 2, 3, 4]. Plus simple et quotidien, le problème dit de la « vidange » ou de la « purge » d’un récipient conduit naturellement à des modèles souvent du premier ordre et accessibles dès la classe de Terminale [5]. Les contextes d’application sont variés : réservoir sans couvercle type « baignoire » ou avec couvercle type « bidon / cubi / cuve » ; réservoir sous pression type « fusée à eau », « spray aérosol » ou « bonbonne de gaz », ou soumis à une force extérieure type « vessie » ou « bouée dégonflée par constriction ». Mais grosso modo, tout revient à ce seul principe, assez intuitif et que nous tiendrons pour acquis tant que l’orifice de sortie (bonde, valve, soupape, ...) est petit :
Principe d'une vidange
Plus il reste de matière \(m\) (mesurée par exemple dans une unité de masse ou de volume) à l’intérieur du contenant, plus elle pousse vers la sortie pour s’en échapper, c’est-à-dire :
- \(\frac{dm}{dt}\) est négative ;
- \(\frac{dm}{dt}\) est grande en valeur absolue quand \(m\) est élevée
Au premier ordre il existe donc une relation entre \(m\) et \(\frac{dm}{dt}\).
Dans cet article, pour une approche mathématique pédagogique, nous négligerons ainsi les phénomènes du deuxième ordre comme la capillarité ou la viscosité.
1. Modélisation de la vidange d’un réservoir ouvert à l’air libre à travers un orifice de sortie
Faisons l’expérience avec une demi-bouteille, assimilée à un cylindre, renversée tête en bas, le fond à l’air libre, figure 1. Remplissons-la jusqu’à la hauteur \(z_0\) et débouchons-la à l’instant \(t = t_0\) (typiquement \(t_0 = 0\)). Notons \(z(t)\) le niveau d’eau restante en fonction du temps, la condition initiale imposant \(z(t_0) = z_0\).
La hauteur \(z(t)\) est proportionnelle à la masse d’eau contenue dans la bouteille à l’instant \(t\). Tel que le phénomène a été décrit dans le principe ci-dessus, plus ce niveau \(z(t)\) est élevé plus il baisse rapidement puisque plus la pression exercée par la colonne d’eau sur le goulot est forte et, par conséquent, plus la fuite est sévère. La vidange se déroule à une vitesse correspondant à la variation du niveau de la surface libre par unité de temps, notée (au choix) \(z'= \dot{z} = \frac{dz}{dt}\) et que l'on peut a priori modéliser, à l'ordre le plus simple et sans considérations physique, comme proportionnelle à \(z\). Si bien que :
\(\frac{dz}{dt} = c z\) (eq1)
Où \(c < 0 \) est une constante assurant l’homogénéité de l’équation, et négative pour garantir la décroissance de \(z\).
L'équation linéaire (eq1) mène à l'expression :
$$z = z_0 e^{c(t-t_0)}$$
qui tend asymptotiquement vers 0, comme sur la figure 2, ci-dessous. Dès lors, la bouteille se viderait en un temps infini, figure 2.
Notre approche était naïve. En vérité, un modèle plus précis que gouvernent les lois de la physique et notamment le théorème de Bernoulli [1] dégage une relation de proportionalité entre \(\frac{dz}{dt}\) d'une part et \(\sqrt{z}\), au lieu de \(z\), d'autre part.
S'ensuit la formule de Torricelli [2] :
\(\frac{dz}{dt} = C \sqrt{z}\) (eq2)
Où \(C\) désigne une constante [3] négative et assurant l'homogénéité de l'équation.
Bien que non-linéaire donc apparemment plus complexe, cette équation (eq2) est pourtant plus facile à résoudre car \(\frac{z'}{\sqrt{z}}\) admet comme primitive \(2 \sqrt{z}\). Il vient ainsi
\(2 \sqrt{z} - 2 \sqrt{z_0} = C (t-t_0)\)
Puis :
\(z = (\frac{C}{2} (t-t_0) + \sqrt{z_0})^2\)
D'où la courbe, sans doute plus crédible puisqu'elle prédit une vidange en un temps fini \(\tau = \frac{-2 \sqrt{z_0}}{C}\), figure 3, que l'expérience réalisée et filmée en laboratoire valide, figures 4 et 5.
La section de la bouteille (de diamètre 9 cm) est ici bien supérieure à celle du goulot (de diamètre 15 mm). Les observations seraient toutefois différentes si l’orifice de sortie (le goulot, ici) avait été plus large ou la bouteille fuselée. Dans un cas même extrême, le goulot et la bouteille pourraient avoir le même diamètre. Quand le niveau d’eau arrive à hauteur de l’épaulement de la bouteille, le passage se resserre. Les diamètres de la colonne d’eau et du goulot se confondent. Sur la vidéo, nous observons à ce moment que la colonne d'eau chute brutalement,. L'eau tombe d'un bloc, en piqué. Nous ne prenons alors plus en compte les points de mesure suivants. En allant plus loin, on pourrait chercher quelle forme devrait avoir la bouteille pour avoir un débit régulier : c’est le problème de la clepsydre, posé depuis l’Antiquité.
2. Vidange d'un réservoir fermé percé d'un petit trou
Demandons-nous plutôt ce qu’il advient lorsqu’on renverse la bouteille entière, sans en percer ni découper le fond, comme sur le schéma, figure 6.
Le comportement de la vidange d'un réservoir dépend de la compétition entre les forces de gravité et de tension de surface. Dans l'exemple de la vidéo, le goulot est beaucoup plus grand que la longueur capillaire. Ainsi, l’eau commence par jaillir sous l'action de la gravité. Ce faisant, la poche d’air enfermée dans la partie supérieure voit son volume augmenter et sa pression diminuer jusqu'à ce que la différence de pression entre l'air ambiant et et l'air enfermé dans la bouteille soit suffisant pour compenser la gravité. La poche d'air agit comme un ressort : la diminution de la pression à l'intérieur permet à la pression atmsophérique extérieure de retenir le liquide dans la bouteille. Elle force alors l'admission d'une bulle d'air dans la bouteille qui, en remontant, rétablit la pression atmosphérique dans la bouteille, vidéo figure 7. L'effet est même accentué avec un flacon de collyre. Le bec, très étroit, entrave davantage le mouvement des fluides et met en jeu des forces capillaires qu'on ne peut plus négliger. Il s'instaure alors un goutte à goutte. Voilà pour les aspects qualitatifs. Sans entrer dans les équations, gageons qu'il y aurait ici, en filigrane, du second ordre, peut-être aussi des dérivées partielles...
3. Verser sans s'éclabousser
Le même prodige se répète quand on vide une brique de lait dans son verre. L’écoulement, très saccadé au départ, en verse parfois à côté, figure 8 et vidéo figure 9.
Il y a bien une astuce, contre-intuitive, qui limite ces petits dégâts – et c’est justement pour cette raison que le bouchon est désaxé, figure 10 et vidéo figure 11.
Il faut incliner la brique de l'autre côté.
De la sorte, l’ouverture est d’emblée pour partie dégagée, ce qui aide l’air à pénétrer.
Il existe une astuce encore plus efficace (que ceux qui se sont battus avec un petit suisse connaissent) : percer un simple trou. Non pas à l’arrière – cela fonctionnerait à condition de tout boire d’un coup car l’emballage fuirait – mais sur le dessus, figure 12 et vidéo figure 13.
Gargouillis insolites, bruits de succion, coups de bélier qui hantent votre maison... La plomberie [7] obéit elle aussi aux équations différentielles !
Remerciements
Les auteurs remercient tout particulièrement Cécile Bruyère, inspectrice générale de l’éducation, du sport et de la recherche (groupe physique chimie), Catherine Huet, inspectrice d’académie – inspectrice pédagogique régionale de mathématiques dans l’académie de Versailles, l'équipe éditoriale du site ENS/DGESCO CultureSciences Physique ainsi que Gilles Claudel et Emmanuel Rigolet, inspecteurs d’académie – inspecteurs pédagogiques régionaux de physique chimie dans l’académie de Besançon pour leur relecture très attentive (et bienveillante) du texte.
Références
- [1] Mathématiques pour la physique et les physiciens !, Walter Appel, H & K, 2017.
- [2] Des mathématiques pour les sciences. T. 1, de Boeck, 2011
- [3] Physique, Eugene Hecht, de Boeck, 2013
- [4] The mathematical mechanic, Mark Levi, Princeton University Press, 2009
- [5] Programme de l’enseignement de spécialité de mathématiques de la classe de Terminale de la voie générale, Bulletin officiel spécial n°8 du 25 juillet 2019
- [6] Des mathématiciens de A à Z, Ellipses, 1996
- [7] Numéro spécial Plomberie, SystemeD, 2018
[1] Daniel Bernoulli : savant suisse du XVIIIe siècle. Attention, c’est à son oncle, Jacques, que l’on doit les polynômes, nombres, équations différentielles, lemniscates, et variables aléatoires de même nom, ainsi qu’une définition de la constante \(e\) [6].
[2] Evangelista Torricelli : savant italien du XVIIe siècle, connu pour avoir mis au point le baromètre à mercure.
[3] Fait remarquable, la constante \(C\) ne dépendrait pas de la masse volumique du liquide. Un peu comme le mouvement du pendule et celui d’une chute libre ne dépendent pas, en première approximation, de la masse en jeu.
Pour citer cet article :
Aquas diffs, Karim Zayana, Jean-Noël Bernard, Ivan Boyer, Victor Rabiet, octobre 2021. CultureSciences Physique - ISSN 2554-876X, https://culturesciencesphysique.ens-lyon.fr/ressource/Aquadiff.xml