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Illustration expérimentale de la propagation de solitons le long d'une chaîne de pendules couplés
28/03/2008
Prise de vue, réalisation des films : Jérôme Cavoret, Sébastien Pilloz
Résumé
Sur l'exemple d'une chaîne de pendules couplés, cet article, illustré par des films, présente des ondes particulières appelées solitons.
Table des matières
Qu'est-ce qu'un soliton ?
Un soliton est une onde de grande amplitude et de relativement faible extension spatiale capable de se propager sur de longues distances sans déformation.
Les solitons sont devenus indispensables pour décrire des phénomènes tels que la propagation de certaines ondes en hydrodynamique, les ondes localisées dans les plasmas astrophysiques, la propagation de signaux dans les fibres optiques, ou des aspects beaucoup plus microscopiques comme les phénomènes de transport de charge dans les polymères conducteurs, les modes localisés dans des cristaux magnétiques, la dynamique de macromolécules biologiques comme l'ADN et les protéines par exemple. Bien entendu tous ces systèmes ne sont décrits qu'approximativement par les équations de la théorie des solitons. On parle alors de quasi-solitons. Mais la caractéristique remarquable des solitons est qu'ils sont exceptionnellement stables vis-à-vis des perturbations. Ils sont en outre capables de se former spontanément dans un système physique auquel on fournit de l'énergie, par exemple sous forme thermique, par une onde électromagnétique ou une action mécanique, même si l'excitation initiale ne correspond pas exactement à un soliton. C'est cette propriété qui fait tout l'intérêt des solitons en physique car, si un système possède des caractéristiques permettant l'existence de solitons, et c'est le cas pour beaucoup d'entre eux, il existe alors une très forte chance qu'une excitation intense conduise à leur formation.
Dispositif et principe de l'expérience d'illustration
On réalise une chaîne de pendules simples couplés par des ressorts de torsion, schématisée sur la figure 1.
Les pendules sont mobiles autour d'un axe commun et deux pendules consécutifs sont reliés par un ressort de torsion. L'énergie du système est la somme, sur toutes les mailles de la chaîne, de trois contributions :
- l'énergie cinétique de rotation des pendules ;
- l'énergie potentielle de pesanteur d'un pendule ;
- l'énergie du couplage élastique entre deux pendules voisins assuré par les ressorts de torsion.
L'énergie initiale du système est injectée lors de l'excitation, réalisée en soulevant plus ou moins quelques pendules à une extrémité de la chaîne. On a filmé la propagation d'ondes le long de cette chaîne, différentes selon le type d'excitation.
Ondes linéaires délocalisées
Pour une faible excitation, c'est-à-dire un faible déplacement des pendules à un bout de la chaîne, les angles de torsion θ des pendules restent petits. On observe une onde progressive classique (du type phonon), solution d'une équation différentielle linéaire grâce à l'approximation sin θ ≃ θ (Voir « Les différentes équations du mouvement et leurs solutions » en fin d'article).
Cette vidéo permet de voir la propagation de ces ondes linéaires le long de la chaîne. A un instant donné, pratiquement tous les pendules de la chaîne sont en mouvement : l'onde est délocalisée. Arrivées au bout de la chaîne, ces ondes se réfléchissent, puis reviennent vers l'extrémité où elles ont été crées.
Cette vidéo propose unzoom sur le mouvement des pendules lorsqu'une onde linéaire se propage.
Ondes non linéaires localisées spatialement : des solitons
Pour une excitation forte - en imposant une rotation de plus d'un demi-tour aux premiers pendules - on observe le retournement successif des pendules suivants. La zone de retournement se propage sans déformation à vitesse constante : c'est un exemple de soliton. La perturbation ne concerne qu'une vingtaine de pendules à la fois, elle est donc localisée dans l'espace. L'équation différentielle correspondante est non linéaire, à cause du terme en sin θ (équation de sine-Gordon, lire en fin d'article la partie « Les différentes équations du mouvement et leurs solutions »).
Cette vidéo montre comment on crée une excitation de type soliton en faisant faire brutalement un tour complet aux pendules situés à l'extrémité droite de la chaîne. Un soliton se propage alors sans que l'on puisse noter de modification de sa forme ni de sa vitesse.
Origine du mot « soliton » :
- Comme ces perturbations sont solutions d'une équation d'ondes, il est naturel de les appeler ondes ;
- Cependant, contrairement aux ondes planes, leur évolution spatiale n'est pas une oscillation périodique, mais un seul passage de 0 à 2π. On parle donc d'ondes solitaires ;
- Enfin, le fait que l'on puisse associer à ces ondes, une position, une vitesse et même une masse comme nous le verrons plus loin, suggère qu'elles ont les propriétés de particules. Cela explique l'utilisation du suffixe « on », comme dans électrons, bosons, phonons,... Ces ondes solitaires ayant des propriétés de particules sont donc appelées des solitons.
Quelques propriétés remarquables de ces solitons :
Les solitons de SG peuvent exister au repos contrairement aux solitons hydrodynamiques. Le début de cette vidéo montre qu'on peut effectivement avoir une excitation fortement non linéaire et bien statique.
Les solitons hydrodynamiques :
La toute première observation d'un soliton est celle que fit l'ingénieur hydrodynamicien John Scott Russell en 1834 alors qu'il se promenait à cheval le long d'un canal près d'Edinburgh en Ecosse. Lorsqu'une péniche s'arrêta brusquement, il fut surpris par la vision de ce qu'il appela « la grande onde solitaire », qu'il suivit pendant plusieurs kilomètres avant de la perdre dans les méandres du canal. La description qu'il en a faite traduit l'enthousiasme d'un scientifique qui a ensuite consacré une dizaine d'années à étudier le phénomène :
« J'observais le mouvement d'un bateau qui était tiré rapidement le long d'un canal étroit par une paire de chevaux quand, soudain, le bateau s'arrêta. Mais il n'en fut pas de même pour la masse d'eau qu'il avait mise en mouvement dans le canal. Elle s'accumula autour de la proue du bateau dans un état de violente agitation, puis, soudainement, l'abandonna, roula vers l'avant à grande vitesse, prenant la forme d'une grande élévation solitaire, d'un paquet d'eau rond, à la forme douce et bien définie, qui continua sa course dans le canal, apparemment sans changement de forme ou diminution de vitesse.
Je la suivis à cheval et la dépassais alors qu'elle roulait encore à la vitesse de 8 ou 9 miles à l'heure, préservant sa forme originale de 30 pieds de long et d'un pied et demi en hauteur. La hauteur diminua peu à peu, et après une poursuite d'un ou deux miles, je la perdais dans les méandres du canal. Tel fut, dans le mois d'août 1834, ma première rencontre avec ce magnifique et singulier phénomène. »
L'interprétation théorique de cette observation a cependant dû attendre 1895 avec les travaux de Korteweg et de Vries, qui ont proposé l'équation qui maintenant porte leur nom (abrégée souvent en équation de KdV). Cette équation se trouvait pourtant de façon implicite dans les travaux de Joseph Valentin de Boussinesq (1842-1929) publiés en 1872.
Cette équation de KdV est l'une des équations prototypes de la théorie des solitons car elle a des propriétés mathématiques remarquables. Son étude permet de comprendre les idées fondamentales de la notion de soliton, mais son obtention à partir des équations de l'hydrodynamique en eau peu profonde est un peu fastidieuse. Elle est présentée dans l'appendice du livre de T. Dauxois et M. Peyrard et n'est valable que lorsque la profondeur de fluide et la hauteur de la vague sont faibles devant sa largeur le long de la direction de propagation.
Les solitons ayant certaines caractéristiques de particules, on peut avoir l'idée de créer des collisions entre ces quasi-particules. Ces solitons ont la propriété remarquable de se croiser sans se voir ou presque.
Cette vidéo montre la collision d'un soliton statique, placé au milieu de la chaîne, avec un soliton mobile que l'on crée au niveau de l'extrémité droite de la chaîne. Après la collision, on retrouve le soliton statique au centre, non perturbé, alors que le soliton mobile, qui l'a traversé de façon transparente, continue sa course vers la gauche.
Il existe en réalité deux types de solution à l'équation de sine-Gordon : les solutions « soliton » et « antisoliton », représentées sur la figure suivante. Leur passage fait faire un tour complet aux pendules ; le passage d'un soliton les laisse avec un angle θ valant 2π tandis que celui d'un antisoliton les fait revenir à un angle θ nul. Comme elles sont associées à des variations rapides d'une grandeur - ici l'angle de torsion θ -, elles sont souvent désignées par le terme anglais « kink » (ou « antikink » pour l'antisoliton).
Si l'on est particulièrement attentif en regardant la vidéo [Propagation du soliton], on notera que le kink initialement créé sur la droite de la chaîne, a été transformé en antikink par la réflexion sur l'extrémité gauche de la chaîne.
Dans un milieu infini comportant un seul soliton, on peut changer sa vitesse par des perturbations, ou même le stopper complètement, mais pas le faire disparaître. Les pendules n'étant pas dans le même état des deux côtés du soliton, on parle de soliton « topologique », par opposition aux solitons hydrodynamiques qui sont qualifiés de « non topologiques ».
Les solutions phonons (ondes linéaires), et solitons (ainsi que les antisolitons bien sûr) constituent l'ensemble des solutions du modèle sine-Gordon sur lesquelles on peut par conséquent décomposer tout état du système. Une méthode, que l'on appelle méthode de diffusion inverse, montre que ces solutions variées constituent en quelque sorte les « modes normaux » non linéaires du système puisque un état quelconque du système apparaît comme une combinaison de ces « modes ».
Pour aller plus loin, des livres et des sites internet :
- T. Dauxois, M. Peyrard, Cambridge University Press (2006), Physics of Solitons ;
- M. Peyrard, T. Dauxois, "Savoirs Actuels", CNRS Editions-EDP Science (2004), Physique des Solitons ;
- Un site internet créé par cinq élèves de l'Ecole Centrale de Lyon dans le cadre d'un projet d'étude : « Un soliton : qu'est-ce que c'est ? » ;
- Michel Olagnon, de l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer, propose « Vagues scélérates », sur les tsunamis et les mascarets.
Les différentes équations du mouvement et leurs solutions
En notant θn l'écart angulaire du pendule n par rapport à sa position d'équilibre, I le moment d'inertie d'un pendule par rapport à l'axe, C la constante de raideur des ressorts de torsion, ℓ la distance à l'axe de son centre de gravité, m sa masse et g l'accélération de la pesanteur, l'énergie du système s'écrit :
qui permet d'obtenir les équations du mouvement de la chaîne de pendules :
On ne connaît pas la solution exacte de ces N équations différentielles ordinaires. On peut cependant obtenir une solution approchée de cette équation grâce à l'approximation des milieux continus qui sera valable si le couplage entre les pendules est suffisamment fort pour que la variable θ varie peu d'un pendule à l'autre. Notons a la distance entre les pendules et remplaçons les variables discrètes θn par la fonction θ(x,t) où θn=θ(x=na,t). Le développement de Taylor de θn±1 conduit à :
en tenant compte de la décroissance rapide des termes successifs qui contiennent les dérivées d'ordre croissant d'une fonction qui varie lentement avec l'espace. Nous nous limiterons ici au développement à l'ordre le plus bas, c'est-à-dire à son premier terme non nul.
En introduisant les deux quantités suivantes, et , homogènes respectivement au carré d'une pulsation et d'une vitesse, on aboutit finalement à l'équation aux dérivées partielles :
qui est connue sous le nom d'équation de sine-Gordon (ou plus brièvement "SG").
La chaîne de pendules n'est bien sûr qu'une réalisation approximative de l'équation SG puisqu'elle n'est pas décrite exactement par l'équation continue (les effets de la discrétisation n'étant pas totalement négligeables) mais surtout parce qu'elle est faiblement dissipative en raison des frottements au niveau de l'axe de rotation des pendules. Elle constitue néanmoins un modèle intéressant qui permet d'observer les propriétés remarquables des solitons.
Si l'on ne se restreint pas à des petits mouvements d'oscillations des pendules, on peut alors obtenir des solutions non linéaires et localisées spatialement dans le cas . Ces solutions, qui se déplacent avec un profil constant, mobiles à la vitesse v, sont appelées solitons et ont pour expression
dans laquelle
mesure l'extension spatiale de la solution.
La solution permet de retrouver une forme caractéristique liée à l'invariance de Lorentz relative à la vitesse c0. La contraction de Lorentz du soliton correspond à la racine dans l'expression de L : la largeur du soliton tend vers 0 lorsque sa vitesse v tend vers la vitesse du son c0. Cette contraction de Lorentz est visible sur l'expérience de la chaîne de pendules quand on compare la largeur d'un soliton statique à celle d'un soliton que l'on a lancé à vitesse élevée. La chaîne de pendules permet par conséquent de faire une « expérience de relativité » où c0 joue le rôle de vitesse limite.
L'énergie de la solution
prend également la forme d'une expression « relativiste », vis-à-vis de la vitesse c0, pour l'énergie d'une particule de masse . Le soliton de SG possède donc les propriétés d'une quasi-particule relativiste.
Pour citer cet article :
Illustration expérimentale de la propagation de solitons le long d'une chaîne de pendules couplés, Thierry Dauxois, mars 2008. CultureSciences Physique - ISSN 2554-876X, https://culturesciencesphysique.ens-lyon.fr/ressource/pendules-couples-soliton.xml