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La Lune rétrécit-elle vraiment et est-ce une "vraie nouvelle" ?
20/09/2010
Résumé
Contraction thermique des planètes et rides de surface.
Table des matières
Le 20 août 2010, la revue Science publiait un article de Thomas R. Watters et al, avec le titre suivant : « Evidence of Recent Thrust Faulting on the Moon Revealed by the Lunar Reconnaissance Orbiter Camera » (Mise en évidence de failles chevauchantes récentes sur la Lune révélées par la Caméra de Lunar Reconnaissance Orbiter). Il s'agit d'un vrai article scientifique basé sur des résultats récents obtenus par la sonde Lunar Reconnaissance Orbiter (LRO). Dans la torpeur de la fin des vacances, cette publication a déclenché un véritable buzz médiatique, avec peut-être la complicité passive (ou active) de la Nasa. Par exemple, le site de la NASA titrait : « NASA's LRO Reveals 'Incredible Shrinking Moon » ("« la mission NASA LRO révèle une incroyable contraction de la Lune »"). Science et Avenir mettait en une sur son site : « Et si la Lune rétrécissait ? ».
On peut résumer ce qui transparaît de ce buzz de la façon suivante : on vient de découvrir que la Lune rétrécissait, se contractait ; et ce rétrécissement est très récent, voire encore actif.
Qu'ont réellement découvert Watters et al. et est-ce une "vraie" nouveauté ?
Ce qu'on savait du rétrécissement de la Lune avant ce 20 août 2010
La morphologie et l'origine des structures compressives sur les planètes et satellites silicatés
On trouve sur toutes les planètes (et satellites) silicatées des structures tectoniques dues à une compression et à un raccourcissement. Ce sont principalement des plis et des failles inverses/chevauchements. Les plis forment un relief relativement symétrique ; ils sont appelés « rides » (ridges, en anglais). Les failles inverses/chevauchements, souvent relativement sinueux, sont appelés « escarpements (lobés) » (lobate scarps, en anglais). Tous les intermédiaires possibles entre ces deux expressions morphologiques existent.
À quoi peuvent être dues ces structures compressives que l'on trouve sur Mars, Vénus, Mercure, la Lune (et bien sûr la Terre) ? Deux origines extrêmes ont toujours été proposées suivant les époques.
- Des causes « tectoniques » plus ou moins locales, que l'on attribuait au modèle en faveur à l'époque, comme le géosynclinal dans les années 1950-1960, ou aux zones de convergences de plaques depuis 1970. Ces structures en compressions dues à des causes "locales" ont toujours eu en contrepartie des structures en extension, la planète étant supposée ne pas varier de surface.
- Une cause globale : la contraction de la planète, due à son refroidissement. Une planète (ou un satellite) possède une surface dont la température est conditionnée par sa distance au soleil. Cette température superficielle est supposée constante. La surface de la planète (en km2) garde donc une valeur constante. Par contre, si l'intérieur se refroidi, il diminue de volume. Intérieur diminuant de volume et surface constante entraînent une mise en compression de la surface, avec formation de structures compressives. C'est ce qui se passe quand une pomme (dont la peau de liège a une surface constante) se dessèche ; la rétraction de la pulpe interne (par dessiccation) entraîne le plissement de la peau.
À la fin du 20ème siècle, avant la découverte de la radioactivité, on pensait que l'intérieur de la Terre se refroidissait rapidement. On voyait là la cause de la formation des chaînes de montagnes. Cette cause de contraction existe certainement, mais a des effets totalement négligeables par rapport aux effets de la tectonique des plaques. Ces effets tectoniques dus au refroidissement interne ne peuvent être visibles que sur les planètes sans autres tectoniques que celle due au refroidissement, en particulier sans structures en extension, contrepartie des structures en compressions sur les planètes "actives". Ces structures compressives dues au refroidissement sont donc invisibles sur Vénus, la Terre, Mars et Io.
Les structures compressives sur la Lune (et sur Mercure)
On connaît depuis la fabrication des bons télescopes des structures compressives sur la Lune, principalement des rides. Les missions Lunar Orbiter et Apollo entre les années 1966 et 1972 ont confirmé l'existence de ces structures compressives, et ont permis de les étudier. Une immense majorité de ces structures compressives sont associées aux mers lunaires. Elles sont dues à des causes locales, en relation indirecte avec ce volcanisme. Elles sont associées à des structures en extension.
Source - © 1972 Apollo 17 Mission, Metric photograph AS17-602
Quelques rares rides et escarpements limités ont été découverts entre 1966 et 1972 sur les continents lunaires, loin de toutes mers et sans causes locales identifiables. Ces rares structures étaient interprétées comme dues au refroidissement de la Lune. Les recoupements de ces structures avec les cratères montrent qu'elles sont majoritairement "vieilles" (c'est-à-dire âgées de plusieurs milliards d'années). La rareté de ces structures compressives, et leur raccourcissement individuel trop faible pour être mesuré avec les images de l'époque ne permettaient pas d'estimer la contraction du rayon lunaire.
Source - © 1966 Lunar Orbiter 2, image 2094-med, modifié
La contraction par refroidissement était donc connue, mais supposée relativement âgée (sauf quelques exceptions comme sur la figure 5), et trop faible pour être quantifiée. En 1974-1975, la sonde Mariner 10 découvre sur Mercure de nombreuses structures compressives de grande taille, surtout des escarpements lobés.
Source - © 1974 NASA/JPL/Northwestern Univ.
Le nombre de ces escarpements, leur raccourcissement mesurable grâce à quelques cratères recoupés… ont permis d'estimer l'ordre de grandeur de la diminution de la surface de Mercure, ce qui peut se traduire en diminution de rayon de Mercure si on les interprète comme dues au refroidissement interne de la planète :
- ΔS = Δ(4π R2) = 8π R ΔR,
- d'où on tire ΔR = ΔS /(8πR),
avec ΔS = variation de la surface et ΔR = variation du rayon. Les auteurs des années 1975-1980 chiffrent cette diminution de rayon à environ 2 km. L'importance de la diminution de rayon de Mercure (par rapport à celui de la Lune) serait due à la présence d'un très gros noyau de fer, alors que celui de la Lune est tout petit. Or un noyau de fer peut se contracter pour 2 raisons : (1) en cristallisant (partiellement ou totalement), ou (2) simplement en se refroidissant ; et le coefficient de dilatation thermique du fer est légèrement plus important que celui des silicates.
Ce qu'on a vraiment découvert grâce à la sonde LRO et qui a été publié ce 20 août 2010
Les données et leur interprétation
La sonde LRO observe la Lune avec une couverture globale et une bien meilleure résolution que les missions Lunar Orbiter et Apollo des années 1966-1972. Cela a permis de découvrir de nombreuses petites structures compressives (des escarpements lobés) loin de toutes mers et semblant ne pas être associés à des structures en extension.
Source - © 2010 NASA/Goddard/Arizona State Univ./Smithsonian, modifié
Source - © 2010 Watters et al., Science, 329, modifié
Les recoupements avec les cratères d'impact montrent que certaines de ces structures sont géologiquement "jeunes" (moins de 1 milliard d'années). En généralisant et extrapolant des observations locales à l'ensemble de la Lune, les auteurs de l'article ont pu proposer un ordre de grandeur de la diminution de surface, et donc de rayon : le rayon de la Lune aurait diminué d'une centaine de mètres pendant le dernier milliard d'années. Cette diminution continuerait encore.
On peut se livrer à quelques estimations chiffrées pour apprécier l'ordre de grandeur de ce refroidissement ΔT, cause de cette diminution de rayon ΔR. Il ne s'agit que de calcul fait "au coin d'une table", qui mériterait d'être plus poussé.
- La variation de rayon ΔR serait de 100 m, soit 102 m.
- Cette variation ΔR se serait faite en 1 milliard d'années.
- Le rayon R de la Lune est de 1740 km, arrondissons le à 106 m.
- → La variation relative de rayon ΔR/R est donc de 10-4.
- Le coefficient de dilatation thermique α, défini par α ΔT = ΔR/R (assimilé à un coefficient de dilatation linéaire), a un ordre de grandeur de 10-5 K-1.
- → Le refroidissement ΔT peut alors être calculé : ΔT = ΔR/R x 1/α = 10-4 x 1/10-5 = 10 K.
D'après cette estimation de l'ordre de grandeur de la variation de température, on voit que le refroidissement interne de la Lune serait d'environ 10 K pendant le dernier milliard d'années.
On peut remarquer que l'ordre de grandeur du refroidissement du manteau terrestre est classiquement estimé à environ 100 K/Ga, environ dix fois plus important que celui de la Lune (estimé ici à 10 K/Ga). D'autres considérations valident cet ordre de grandeur d'un refroidissement de la Lune dix fois plus faible que le refroidissement de la Terre. Les lithosphères planétaires peuvent être définies comme des couches limites thermiques dans lesquelles la chaleur se propage par conduction, entre une base à 1300°C et une surface "froide". Sur Terre, la lithosphère mesure une centaine de kilomètres d'épaisseur. Sur la Lune, les données sismiques datant d'Apollo suggèrent une épaisseur d'environ 1000 km. Ce n'est donc pas étonnant qu'avec une lithosphère dix fois plus épaisse la Lune perde dix fois moins de chaleur que la Terre (par unité de surface) et se refroidisse dix fois moins.
On peut se demander pourquoi le refroidissement de la Lune est largement inférieur au refroidissement de la Terre. La température interne d'une planète et sa variation sont dues au bilan entre la chaleur qui s'échappe de la planète et la chaleur produite à l'intérieur. S'il y a égalité entre production (supposée constante) et perte, la température interne est constante. La planète perd de la chaleur, mais ne se refroidit pas. Avec une production de chaleur (par radioactivité) par unité de volume égale pour toutes les planètes, la valeur de cette température interne d'équilibre dépend du diamètre de la planète. Si la perte est supérieure à la production, alors il y a diminution de la température interne. Sur Terre, la production de chaleur (par la radioactivité naturelle) ne serait égale qu'à une (grosse) moitié de la chaleur qui s'échappe, ce qui explique le refroidissement de la Terre. Une petite moitié de la chaleur s'échappant de la Terre ne serait donc pas produite aujourd'hui, mais puisée sur un stock de chaleur, la "chaleur initiale" qui date de la "chaleur d'accrétion" il y a 4,56 Ga.
La Lune, d'une masse égale à 1/80 de celle de la Terre, a presque complètement épuisé son stock de chaleur initiale. Il y a alors quasi-équilibre entre production et perte de chaleur, d'où seulement un très faible refroidissement. On peut noter que même en cas d'épuisement total de la chaleur initiale, la température d'équilibre interne diminuerait quand même légèrement, à cause de la diminution de la quantité d'éléments radioactifs (donc de la production de chaleur) au cours du temps.
Le buzz médiatique qui a suivi la publication de Thomas R. Watters et al.
La publication de Nature a donné lieu à plein d'articles de presse, de blogs… Sans nier la qualité des observations de Thomas R. Watters et al, et l'intérêt de ses interprétations, on peut noter qu'il y a eu une inflation dans le vocabulaire et les commentaires qui ont suivi.
- Tout le monde parlait de contraction, de rétrécissement de la Lune, mais combien disaient que ce rétrécissement du rayon ne serait que de 10-4 (soit 0,01%) ?
- Tout le monde parlait de refroidissement de la Lune, mais combien disaient qu'il ne s'agirait que de quelques degrés par milliard d'années ?
- Tout le monde parlait d'un phénomène récent, actif…, que la Lune était "vivante", mais combien disaient qu'on parlait d'un âge probable d'1 milliard d'années (2 fois plus vieux que le début de l'ère primaire) ?
- Tout le monde parlait d'un résultat totalement inédit, alors qu'il ne s'agissait que de la confirmation (très bien argumentée) et de l'estimation quantitative (cela, c'était nouveau) d'un phénomène déjà largement pressenti.
Ce buzz est sans doute dû pour partie à un mélange (en proportions variables) entre la recherche du sensationnel et une méconnaissance des choses de la sciences par les auteurs de cette inflation. Il est d'ailleurs fort possible que ce buzz n'ait pas gêné tout le monde. Les projets de missions lunaires ont du plomb dans l'aile aux USA, ce qui est bien dommage. Et tous les ans, le congrès américain vote le budget de la NASA. Insister (maladroitement) sur l'intérêt (réel) des études lunaires auprès des députés et sénateurs américains (encore moins scientifiques que les auteurs de l'inflation médiatique récente) n'est peut-être pas totalement fortuit et innocent.
Pour citer cet article :
La Lune rétrécit-elle et est ce vraiment une « vraie nouvelle » ?, Pierre Thomas, septembre 2010. CultureSciences Physique - ISSN 2554-876X, https://culturesciencesphysique.ens-lyon.fr/ressource/la-Lune-retrecit.xml