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III - Comparaisons des différentes formes d'énergie
26/01/2009
Résumé
Le concept d'énergie : comparaisons des différentes formes d'énergie. Une étude chiffrée des conséquences des principes de la physique sur divers facteurs qui conditionnent l'emploi de l'énergie : concentration, dégradation, transport, stockage, réserves, nuisances. Troisième partie du dossier « Les multiples visages de l'énergie », proposé par Roger Balian (première publication le 31 août 2002).
Article précédent : « II - Conséquences énergétiques des principes fondamentaux »
Table des matières
Nous examinons maintenant les conséquences des principes de la physique sur divers facteurs qui conditionnent l'emploi de l'énergie : concentration, dégradation, transport, stockage, réserves, nuisances. D'importantes différences apparaissent de ces points de vue entre les diverses formes d'énergie, ainsi d'ailleurs qu'en ce qui concerne les facteurs économiques et sociaux que nous laissons de côté (coûts, investissements, besoins mondiaux, etc.).
Concentration
Les formes d'énergie que nous utilisons sont plus ou moins concentrées, selon la quantité de matière nécessaire pour les mettre en œuvre. De façon remarquable, la classification de la partie 4 « Hiérarchie des énergies », article « II - Conséquences énergétiques des principes fondamentaux », basée sur la microphysique contemporaine, reste valable à notre échelle. On est ainsi amené à distinguer trois niveaux de concentration, qui diffèrent considérablement l'un de l'autre, par un facteur situé entre 104 et 106. Nous illustrerons ce fait en examinant quelle masse de matière est en jeu pour extraire une énergie de 1 kWh.
Le niveau intermédiaire, le plus courant, correspond aux très diverses énergies de nature électromagnétique. Le kWh y est associé à des masses de l'ordre du kilogramme. Ainsi, pour l'énergie chimique, les carburants fournissent de la chaleur à raison de 1 kWh par 0,1 kg environ (souvenons-nous que 1 tep = 12 MWh). Pour la chaleur, 1 kWh permet de faire fondre 10 kg de glace, de porter de 20°C à 100°C la même quantité d'eau, ou d'en faire bouillir 1,5 kg. Nos consommations domestiques d'électricité se mesurent aussi en kWh, compte tenu de la puissance de nos appareils ménagers, située entre 10 W et 5 kW. Enfin, la puissance du rayonnement solaire est au niveau du sol de l'ordre de 1 kW par m2 perpendiculaire aux rayons incidents ; ce chiffre est assez fort pour permettre aux mécanismes biochimiques et bioénergétiques de fonctionner, mais assez faible pour ne pas trop perturber ceux-ci.
Les énergies les plus concentrées sont les énergies nucléaires, basées sur l'interaction forte. Ici, le kWh est associé à une masse de l'ordre du milligramme ou même moins. Ainsi, une quantité de chaleur de 1 kWh est dégagée par fission dans une centrale nucléaire grâce à la consommation de 10 mg d'uranium naturel, contenant 0,7% d'uranium 235 fissile. L'emploi industriel de surgénérateurs permettrait de gagner un facteur 100 en récupérant l'énergie de fission du plutonium produit par capture de neutrons par l'uranium 238 non fissile. La fusion, objectif lointain, serait encore plus efficace ; dans le Soleil, 5 µg d'hydrogène suffisent à la production de 1 kWh, cette émission de chaleur étant compensée par une perte de masse de 0,04 µg.
Les énergies les plus diluées sont l'énergie gravitationnelle et les énergies mécaniques, pour lesquelles le kWh est associé à des masses de l'ordre de 10 tonnes. Pour produire 1 kWh d'énergie électrique dans une usine hydroélectrique, dont le rendement est de 85%, il faut faire chuter 10 tonnes d'eau de 40 m ; avec une éolienne, il faut récupérer toute l'énergie cinétique de 20 000 m3 d'air (27 tonnes) arrivant à 60 km/h. De même 1 kWh est l'énergie cinétique d'un camion de 10 tonnes roulant à 100 km/h. Pour prendre conscience de l'écart entre ces nombres et ceux associés à l'énergie calorifique, on peut noter que si toute l'énergie mécanique d'un œuf tombant de la tour Eiffel était absorbée par cet œuf sous forme de chaleur, sa température n'augmenterait que de 0,7°.
Ces écarts considérables ont d'importantes conséquences. Un réacteur électronucléaire de 1000 MW électriques, dont le rendement est de 33%, ne consomme que 27 tonnes d'uranium enrichi à 3,2% par an, le quart de son chargement, alors que pour la même puissance une centrale thermique, d'un rendement de 38 %, consommerait 170 tonnes de fuel ou 260 tonnes de charbon à l'heure, et qu'une centrale hydroélectrique nécessiterait la chute de 1200 tonnes d'eau par seconde, de 100 m de haut. La dilution, assez grande, de l'énergie solaire se traduit par le fait qu'il faudrait 30 km2 de panneaux solaires semi-conducteurs pour atteindre en moyenne journalière par effet photovoltaïque cette puissance. L'énergie du vent est encore moins adaptée à la production massive d'électricité nécessaire à nos villes, puisqu'il faudrait 1500 éoliennes de 0,7 MW pour aboutir aux mêmes 1000 MW. Le Danemark et les Pays-Bas, qui ont fait un effort considérable pour s'équiper en éoliennes, n'arrivent pourtant à en tirer que quelques pour-cent de leur électricité et doivent, à défaut de nucléaire ou d'hydraulique, faire appel au pétrole ou au charbon – de sorte que ce sont les deux pays d'Europe (après le Luxembourg) qui produisent le plus de CO2 par tête, environ 12 tonnes par personne et par an (deux fois plus qu'en France, mais deux fois moins qu'aux Etats-Unis). Les formes diluées de l'énergie, lorsqu'elles sont utilisées pour produire de l'électricité (éoliennes, piles solaires, microcentrales hydrauliques), devraient être réservées à des usages spécifiques, utiles quoique voués à rester marginaux, comme l'alimentation de lieux isolés qu'il serait coûteux de relier au réseau, ou encore pour le photovoltaïque la fourniture de faibles puissances.
Dégradation
Le deuxième principe implique, compte tenu de l'expression de l'entropie en fonction des variables associées aux diverses formes d'énergie, que celles-ci ont tendance à se dégrader (article « II - Conséquences énergétiques des principes fondamentaux » - partie « Deuxième principe » - 1) : les énergies mécaniques et électrique en particulier tendent à se transformer irréversiblement en chaleur. L'exemple du bilan énergétique du fonctionnement d'une voiture (article « II - Conséquences énergétiques des principes fondamentaux » - partie « Premier principe » - 1), ou de la plupart des appareils ménagers (climatiseur, téléviseur, four, aspirateur, lampe, ordinateur, téléphone), montre que nos actions ont le plus souvent pour seul effet de transformer en dernier ressort diverses formes d'énergie en chaleur. Cette remarque a donné naissance au XIXème siècle au mythe de la « mort thermique de l'Univers ». On peut, dans une certaine mesure et en utilisant des dispositifs appropriés, contrecarrer cette tendance, à condition que l'entropie totale des systèmes isolés en jeu ne décroisse pas. C'est ce qui se passe par exemple dans un moteur thermique où le flux spontané de chaleur de la source chaude vers la source froide (qui fait croître l'entropie totale) est détourné, à notre profit, pour extraire une quantité limitée de travail (article « II - Conséquences énergétiques des principes fondamentaux » - partie « Deuxième principe » - 2), que l'on peut à son tour transformer en quasi totalité en énergie électrique. Mais l'énergie noble ainsi obtenue est souvent, volontairement ou non, reconvertie en chaleur.
Nous avons aussi vu (article « II - Conséquences énergétiques des principes fondamentaux » - partie « Principes de la thermodynamique hors équilibre » - 2) que la dissipation croît avec la rapidité des processus, de sorte que la dégradation de l'énergie est d'autant plus forte que nos actions prennent moins de temps. Des compromis sont donc nécessaires entre les durées souhaitées des processus et leurs rendements admissibles.
Les problèmes de rendement, notion liée à l'activité humaine, sont en effet essentiels dans toute question énergétique, car ce qui compte en pratique n'est pas la puissance totale mise en jeu mais sa fraction utile pour tel ou tel usage. C'est pourquoi il importe de distinguer par exemple, pour une centrale thermique, la puissance thermique (dont dépend la consommation de carburant) de la puissance électrique envoyée sur le réseau. Même si une telle distinction peut paraître banale, elle n'est pas toujours explicite dans les statistiques publiées. Ainsi, il est d'usage d'estimer l'équipement en éoliennes des pays européens en comparant les valeurs des puissances installées dans chaque pays, alors que les seuls chiffres significatifs seraient les puissances électriques fournies en moyenne annuelle.
L'énergie calorifique dégagée par les activités humaines n'a certes pas d'influence directe notable sur le climat, puisqu'elle ne représente que 1/10 000 de la chaleur reçue du Soleil. Elle implique cependant un gâchis considérable de nos ressources énergétiques. En effet, les centrales thermiques, qu'elles soient nucléaires, au fioul, au gaz ou au charbon, n'ont qu'un rendement de 33 à 38 % en électricité. La plus grande partie de la chaleur produite par réaction nucléaire ou chimique va donc se dégager en pure perte dans l'atmosphère, les rivières ou la mer à travers le condenseur. Or, le tiers de l'énergie totale que nous consommons est consacré au chauffage domestique, assuré le plus souvent par consommation directe de carburant ou d'électricité. On ne peut que regretter le trop petit nombre d'installations de récupération de chaleur auprès des centrales thermiques, susceptibles de produire de l'eau chaude notamment pour le chauffage urbain ; il est vrai qu'on se heurte à la nécessité d'investir dans un réseau de transport d'eau chaude.
Nous avons signalé à la fin de la partie « Deuxième principe » - 1 de l'article « II - Conséquences énergétiques des principes fondamentaux » le caractère relatif de la notion de dégradation dans le cas de l'énergie chimique. Celle-ci paraît le plus souvent équivalente de ce point de vue à la chaleur, puisque la combustion d'un carburant dégage directement de l'énergie calorifique. Cependant, il est possible, à l'aide de mécanismes ingénieux comportant en particulier une séparation spatiale d'ions réactifs, grâce par exemple à des électrodes ou des membranes biologiques, de transformer directement une énergie chimique en énergie électrique (batteries) ou mécanique (muscles). L'énergie chimique apparaît alors comme noble et il est théoriquement permis de l'utiliser sans la transformer d'abord en chaleur, et ainsi de réduire la dégradation. Certaines réactions chimiques peuvent même, selon la manière dont elles sont conduites, être utilisées thermiquement ou non. Ainsi, on peut imaginer des véhicules de l'avenir fonctionnant à l'aide d'hydrogène produit par électrolyse de l'eau. Il sera alors beaucoup plus rentable, si la technologie le permet, d'utiliser à l'aide d'une pile à hydrogène ce corps pour produire de l'électricité (transformée en énergie mécanique par un moteur électrique) plutôt que de le brûler dans un moteur thermique dont le rendement est inexorablement limité par le principe de Carnot. Mais il faudra encore bien des recherches pour que le rendement pratique de pareilles piles dépasse cette limite et que l'on évite de gaspiller l'énergie de l'hydrogène par dégradation en chaleur. Le fait que le quart de l'énergie totale que nous consommons est consacré aux transports montre l'intérêt de telles études.
De même, l'énergie solaire est a priori une énergie noble, transportée par un rayonnement ordonné. Sa dégradation par transformation en chaleur n'est pas inévitable. Les mécanismes biologiques (assimilation chlorophyllienne, muscles) en convertissent une faible part en énergie chimique ou mécanique. Les piles photovoltaïques en convertissent environ 10 % en énergie électrique. Mais le progrès n'est pas limité par des principes physiques.
En définitive, ce ne sont pas des raisons de principe qui nous obligent à passer par la chaleur pour exploiter les énergies chimique et radiative, mais des questions de faisabilité pratique, de connaissance scientifique ou technologique, de taille, lenteur ou complexité trop grandes des mécanismes, ou de coût trop élevé.
Transport
Jusqu'à la révolution industrielle, seuls le transport du bois de chauffage et celui des aliments permettaient d'utiliser de l'énergie ailleurs que sur le lieu de production. Nous disposons aujourd'hui de deux moyens commodes de transport d'énergie (à côté des canalisations d'eau chaude).
Le premier moyen est l'emploi de lignes électriques. L'importance considérable de l'énergie électrique, ses multiples possibilités d'utilisation, résident précisément dans le fait que c'est la seule forme d'énergie susceptible d'être transformée en n'importe quelle autre et d'être transportée au loin en grande quantité à un coût énergétique relativement faible. En effet, grâce aux transformateurs qui permettent en courant alternatif d'utiliser des lignes à haute tension, les pertes par effet Joule peuvent être réduites. Elles sont en France de 8 %.
Le second moyen est le transport des carburants, par bateau ou par rail pour le charbon, par oléoduc ou navire pétrolier pour le pétrole, par gazoduc ou méthanier pour le gaz, par camion-citerne pour l'essence. Notons cependant que ce transport peut être dispendieux en énergie : le transport de charbon en Chine depuis le lieu de production jusqu'à Pékin consomme la moitié du chargement des trains ; une énorme proportion de gaz se perd en Sibérie en raison des fuites dans les gazoducs. Le transport de l'uranium pose moins de problème de pertes puisqu'on n'a besoin d'en véhiculer que de faibles volumes. L'essor du train à vapeur au XIXème siècle, celui de la voiture et de l'avion au XXème siècle, ont reposé sur la possibilité d'emporter avec soi sous forme de carburant l'énergie nécessaire pour parcourir des distances de plus en plus longues. Auparavant, il fallait sur mer nourrir des rameurs ou attendre le vent, sur terre multiplier les relais de poste, source d'énergie hippomobile.
L'énergie peut aussi être transportée à distance par un rayonnement : c'est sous cette forme que nous parvient l'énergie solaire. Cependant, on ne sait transférer ainsi dans la pratique que de faibles puissances, de sorte que l'emploi du rayonnement se limite à l'envoi par voie hertzienne de signaux de télécommunications (télévision, téléphonie, satellites, etc.).
Stockage
De même que le transport, le stockage entraîne des pertes d'énergie sous forme de chaleur, car il nécessite souvent un changement de forme d'énergie.
Les carburants offrent non seulement une commodité de transport mais aussi de stockage. Malheureusement, seul leur emploi pour le chauffage domestique ou industriel permet d'utiliser toute leur énergie chimique ; leur emploi dans les centrales électriques ou les véhicules fait perdre en chaleur 60 % de cette énergie.
Les barrages hydroélectriques constituent le seul moyen (indirect) de stocker de grandes quantités d'électricité. Ils sont de plus en plus souvent équipés de manière à fonctionner presque réversiblement, soit en faisant chuter l'eau pour produire de l'électricité, soit en pompant l'eau d'aval en amont. Dans les deux cas, la dégradation en chaleur est relativement faible. Ceci permet de stocker une énergie électrique produite en heures creuses par des centrales nucléaires (qu'il est préférable de faire fonctionner sans variation excessive de puissance), afin de la restituer au réseau en heures de pointe. La Suisse revend de la sorte à l'Italie de l'énergie électrique achetée auparavant en heures creuses à la France. Les barrages sont donc utilisables non seulement comme sources d'énergie hydroélectrique grâce à la pluie, mais aussi comme réservoirs d'énergie électrique.
Les accumulateurs constituent un autre moyen commode de stocker une énergie. Cependant, ici, les pertes sous forme de chaleur sont plus importantes. Surtout, les accumulateurs ont par unité de masse une capacité limitée, par exemple 35 Wh par kg pour ceux au plomb. Les meilleures valeurs sont actuellement de 0,15 kWh par kg pour les batteries au lithium des caméscopes ; on retrouve l'ordre de grandeur caractéristique des énergies de nature électromagnétique donné à la partie « Concentration ». Ceci constitue la principale entrave au développement des voitures électriques (la puissance d'une voiturette est de l'ordre de 10 kW). On peut se demander si des progrès importants sont à espérer en ce domaine. Une évaluation numérique sommaire montre qu'ils resteront limités. Charger une batterie au lithium, métal le plus léger, élève le potentiel des ions Li+ de 3 V, force électromotrice de la batterie, ce qui correspond à une fourniture d'énergie de 3 × 96 500 J pour une mole (7 g) de Li, c'est-à-dire une capacité de 10 kWh par kg de Li, atomes actifs de la batterie. Mais celle-ci doit aussi comprendre un nombre beaucoup plus grand d'atomes de structure, qui créent le potentiel vu par les ions Li+, se comportent comme une éponge à travers laquelle ces ions peuvent se déplacer et délimitent deux régions où ils peuvent se fixer avec des potentiels chimiques différents. La capacité actuellement réalisée correspond à une masse totale 60 fois plus grande que celle du lithium actif, mais il semble difficile de réduire considérablement cette masse.
C'est pourquoi l'emploi de l'hydrogène, qui serait produit par électrolyse de l'eau et utilisé pour produire un courant électrique dans une pile à combustible, paraît une voie prometteuse quoique futuriste de stockage de l'énergie pour des voitures électriques. En effet, cette technique est associée à une énergie chimique de 32 kWh par kg d'hydrogène, nettement plus grande que celle des batteries et nécessitant moins de matériaux inactifs. Cette énergie par unité de masse est également supérieure à celle des carburants usuels, par exemple 12 kWh par kg de pétrole, et présente l'avantage potentiel de pouvoir être convertie en énergie électrique noble sans passage par une machine thermique.
Il faut enfin noter que l'énergie solaire, foncièrement intermittente, nécessite un stockage. Celui-ci est facilement réalisé par production d'eau chaude si cette énergie est captée pour le chauffage domestique, mais une pile photovoltaïque nécessite un couplage avec un accumulateur. Il en est de même pour l'énergie éolienne, sauf lorsqu'elle est utilisée pour pomper de l'eau comme dans les polders. Le développement de ces deux formes d'énergie pour la production d'électricité est donc conditionné par les progrès de l'électrochimie.
Réserves
Afin d'apprécier les problèmes de réserves énergétiques et de nuisances, il importe de noter qu'actuellement, à l'échelle mondiale, l'énergie (hors aliments) provient pour 40% du pétrole, pour 26% du charbon, pour 24% du gaz, pour 7% du nucléaire, pour 3% de l'hydraulique, le reste étant négligeable. Ces proportions montrent l'importance de la distinction entre énergies épuisables et renouvelables.
Les énergies renouvelables proviennent pour la plupart, directement ou non, du rayonnement solaire : énergies solaire, hydraulique, éolienne, biomasse (aliments d'une part, combustibles comme le bois, les déchets végétaux ou l'alcool d'autre part). Malgré leur pérennité, ces énergies sont très diluées ; la puissance maximale qu'elles sont susceptibles de fournir ne peut suffire à subvenir qu'à une partie de nos besoins. Certes, la Terre reçoit du Soleil un flux de 1,4 kW par m2 de surface apparente, ce qui représente en une heure l'énergie que les hommes consomment en un an. Compte tenu de la forme sphérique de la terre, de la réflexion et de l'absorption par l'atmosphère, la puissance qui atteint le sol, 160 W.m-2 en moyenne, reste importante. Mais les rendements des divers processus basés sur l'énergie solaire sont faibles.
Ainsi, l'assimilation chlorophyllienne n'exploite qu'une faible part du flux lumineux : les cultures sucrières, les plus productives en énergie biochimique, fournissent seulement en moyenne annuelle l'équivalent de 0,6 W.m-2. Ceci limite les perspectives de la biomasse. Elle est produite actuellement presque uniquement pour notre alimentation. Or, un homme consomme en moyenne pour se nourrir 2700 kcal par jour, c'est-à-dire 130 W, chiffre faible devant sa consommation de 2 kW en énergies conventionnelles (moyenne mondiale pour l'électricité et les carburants). Un développement significatif des biocarburants occuperait donc une part importante des terres cultivables, et malgré leur intérêt les combustibles végétaux ne pourront jouer qu'un rôle marginal.
On a vu que l'énergie éolienne nécessite énormément d'espace à puissance donnée. Les rendement des piles photovoltaïques atteint 10%, mais il faudrait 300 m2 de panneaux par européen pour assurer en moyenne ses besoins en énergie, et leur fabrication nécessite pour l'instant une technologie dispendieuse. C'est dans le domaine du chauffage domestique que l'énergie solaire semble dans l'immédiat le mieux utilisable, grâce à des capteurs sur les toits produisant de l'eau chaude. Quant à l'énergie hydraulique, celle qui parmi les énergies renouvelables occupe (après l'énergie solaire directe) le moins de surface sur terre pour une puissance donnée, elle ne peut plus se développer que dans certains pays où il subsiste encore des sites adéquats pour l'installation de barrages. En France, l'équipement hydroélectrique approche de la saturation et fournit moins de 15% de notre consommation électrique.
La géothermie occupe une place particulière parmi les énergies renouvelables, car elle est issue non du Soleil mais de l'intérieur de la Terre, dont la température reste élevée en raison de sa radioactivité. Elle aussi ne peut fournir qu'une puissance limitée car elle est en général diluée, son flux étant de 1 W par m2. De plus, il existe une grande variété de gisements dont l'exploitation pose des problèmes spécifiques ; certains sont épuisables...
Les autres énergies, fossiles, reposent sur l'exploitation de minéraux formés durant l'histoire de la Terre et n'existant qu'en quantités limitées. Au rythme de consommation actuel, les réserves mondiales reconnues ne peuvent couvrir qu'un demi-siècle pour le pétrole, un siècle pour le gaz et l'uranium, quelques siècles pour le charbon. On peut certes espérer que des technologies futures permettront d'exploiter des gisements déjà connus mais actuellement inutilisables car le pétrole y est trop dilué pour qu'on puisse l'extraire de la roche-réservoir. Mais, outre la hausse des coûts de production, ne serait-il pas plus judicieux de réserver le pétrole aux usages, actuels ou futurs, de la pétrochimie pour laquelle il est irremplaçable plutôt que de le brûler ? En n'utilisant que des technologies actuellement maîtrisées, la seule solution pour préserver à l'usage des générations futures les ressources en énergie électrique paraît être la construction de surgénérateurs, grâce auxquels l'énergie électrique extraite du nucléaire serait multipliée par 100. Ceci permettrait de couvrir la consommation annuelle d'électricité mondiale à l'aide seulement du dix millième des réserves d'uranium. Un jour peut-être, la fusion fournira une source d'énergie calorifique et électrique inépuisable grâce au deutérium contenu dans l'eau de mer. On peut aussi espérer que l'on parviendra à couvrir au moins une partie des besoins en chaleur et en électricité à l'aide du solaire.
Mais le problème reste entier pour le transport automobile, où il faudra trouver rapidement de nouvelles technologies n'ayant pas recours aux carburants fossiles.
Nuisances
Toutes les formes d'énergie engendrent des nuisances. La plus préoccupante d'entre elles est l'augmentation de l'effet de serre en raison de l'émission de CO2 provoquée par la combustion de gaz, de pétrole ou de charbon. Par kWh fourni, le gaz dégage 49 g de CO2, le pétrole 71 g et le charbon 86 g. De ce fait, la teneur de l'atmosphère en CO2, qui oscillait jusqu'à il y a deux siècles entre 180 ppmv (parties par million en volume) lors des périodes glaciaires et 280 ppmv, a augmenté de plus en plus rapidement depuis le début de l'ère industrielle, jusqu'à la valeur actuelle de 365 ppmv. Ce chiffre est supérieur de 30% aux maxima atteints depuis 420 000 ans, période pour laquelle on a pu faire de mesures sur carottes glaciaires de l'Antarctique. Quelle que soit la politique énergétique mondiale, un doublement du CO2 atmosphérique au cours du XXIème siècle paraît difficilement évitable. Le problème est d'autant plus complexe que quatre causes humaines d'importance comparable concourent à l'augmentation de l'effet de serre : le chauffage, les transports, la production industrielle, la production alimentaire. Cette augmentation de l'effet de serre est probablement responsable, au moins en partie, des changements climatiques observés au cours du dernier siècle : en moyenne mondiale, la température s'est élevée de 0,5°, le niveau des mers de 10 cm. L'emploi du nucléaire ou de l'hydraulique pour la production d'électricité réduit cette nuisance : les Etats-Unis ou le Canada émettent environ 20 t de CO2 par tête et par an, l'Europe en moyenne 8 t, la France ou la Suède moins de 6 t ; le chiffre reste relativement élevé dans ces deux pays, bien qu'ils n'utilisent pratiquement pas de centrales thermiques, car le chauffage et les transports nécessitent un recours au pétrole, au gaz ou au charbon. D'ailleurs, à l'échelle mondiale, les carburants représentent 90% de l'énergie totale utilisée. Même si l'électronucléaire se répand dans le monde, il faudra, pour réduire les émissions de CO2 , généraliser le chauffage solaire et la récupération de chaleur des centrales, diminuer la part du pétrole dans les transports et parvenir à mettre au point de nouvelles technologies (perfectionnement du photovoltaïque, hydrogène pour les véhicules ?). Il convient de noter à ce propos que l'hydrogène, souvent présenté comme une panacée, n'est pas une source primaire d'énergie mais seulement un moyen de stockage ; il n'existe à l'état naturel qu'en combinaison et on ne peut l'extraire sans production de CO2 sans faire appel à une énergie électronucléaire ou renouvelable.
Parmi les nuisances des industries de l'énergie, les accidents provoquent à juste titre l'émotion du public. Beaucoup d'entre eux seraient cependant évitables. Tchernobyl est le résultat d'une incurie notoire, de même que la plupart des déversements de pétrole dans la mer. Le retentissement médiatique d'un accident est cependant souvent sans mesure avec sa gravité : une catastrophe dans une mine de charbon en Asie ou en Europe de l'Est ayant causé de nombreuses pertes humaines peut passer inaperçue, alors que Three Mile Island, qui n'a causé par irradiation aucune victime, est dans toutes les mémoires.
Le problème de la radioactivité des déchets nucléaires est source de préoccupation générale. Le danger est évident, mais doit être relativisé par diverses comparaisons, d'abord avec celui du CO2, puis avec celui des déchets radioactifs d'origine médicale, beaucoup moins délimité et moins bien contrôlé, avec celui des déchets chimiques, enfin avec la radioactivité naturelle. Faut-il s'inquiéter d'information alarmistes faisant état d'une activité du sol de quelques dizaines de milliers de becquerels au m2 induite par des retombées de Tchernobyl, lorsqu'on sait qu'un corps humain émet en permanence 8000 Bq ? Ces peurs sont entretenues par une surestimation des effets sur nos cellules des faibles doses de rayonnement. Les réglementations et les croyances communes sont basées sur une extrapolation linéaire de ces effets à partir des valeurs observées pour de fortes doses. En réalité, des études de biologie et d'épidémiologie (confirmant l'idée selon laquelle la radioactivité naturelle n'a pas entravé le développement de la vie) ont montré que les effets des faibles doses, s'ils existent, sont très inférieurs aux estimations courantes. Ici encore, la physique doit aider à la réflexion : la très longue durée de certains déchets préoccupe le public, alors qu'elle implique une très faible activité. Un traitement rationnel des déchets suppose leur tri et une recherche de solutions différentes selon le temps de vie (stockage ou transmutation). Les progrès de la physique nucléaire, si les recherches nécessaires sont poursuivies, pourraient aboutir à une solution du problème, d'autant plus que le volume total à traiter est faible. Les surgénérateurs pourraient en particulier aider à se débarrasser du plutonium. Des recherches sont aussi en cours pour mettre au point de nouveaux types de réacteurs, qui ne seraient pas susceptibles de s'emballer et qui produiraient peu de déchets actifs.
Les déchets chimiques, dangereux comme le plomb issu de la fabrication des accumulateurs ou les métaux lourds contenu dans les piles, présentent des risques différents. Ils ne disparaissent pas avec le temps comme les produits hautement radioactifs. Ils sont beaucoup moins aisément détectables que des corps même très faiblement radioactifs, et passent plus facilement inaperçus.
Les efforts technologiques considérables faits pour réduire la pollution de l'air par les fumées d'usines ou les automobiles ont été efficaces, au moins dans nos pays : contrairement à un préjugé répandu, la pollution moyenne à Paris n'a cessé de diminuer depuis 50 ans malgré la circulation croissante. Elle présente cependant encore des pics dangereux certains jours et la recherche d'énergies propres reste indispensable.
La pollution thermique, issue de la dégradation de l'énergie (partie « Dégradation »), est globalement négligeable pour l'ensemble de la Terre. Elle peut localement conduire à une nuisance, associée par exemple à l'échauffement d'une rivière.
Les énergies renouvelables ne sont pas exemptes de nuisances. Les barrages, qu'ils soient grands ou petits, perturbent l'environnement, parfois de façon catastrophique. C'est l'une des raisons pour lesquelles l'usine marémotrice de la Rance n'a pas eu de successeur. Les éoliennes occupent à puissance donnée beaucoup d'espace ; elles nécessitent chacune un socle de béton de 270 tonnes ; malgré les progrès, elles restent bruyantes et sont souvent critiquées, comme les pylônes électriques, pour la place qu'elles occupent dans le paysage. Les panneaux solaires noirs eux-mêmes peuvent choquer le sens esthétique. La géothermie se heurte à divers problèmes tels que la corrosion. Quant à la biomasse, sa production industrielle suppose l'emploi de quantités importantes d'engrais, ainsi que l'irrigation, au risque de pénurie d'eau et de pollution.
Article précédent : « II - Conséquences énergétiques des principes fondamentaux »
Dossier : « Les multiples visages de l'énergie »
Pour citer cet article :
Comparaisons des différentes formes d'énergie, Roger Balian, janvier 2009. CultureSciences Physique - ISSN 2554-876X, https://culturesciencesphysique.ens-lyon.fr/ressource/Comparaison-differentes-formes-energies-Balian.xml