Activer le mode zen
Ressource au format PDF

Le corps noir

17/03/2005

Gabrielle Bonnet

Gabrielle Bonnet

Résumé

Cet article présente des rappels sur le corps noir, de l'origine historique (catastrophe ultraviolette) au point de vue actuel. Questions et applications.


Introduction

Un corps noir est un corps qui absorbe, sans la réfléchir ni la diffuser, toute l'énergie électromagnétique qu'il reçoit. Ainsi, une boite avec une toute petite ouverture est généralement une bonne approximation d'un corps noir. Un tel "corps noir" reçoit de l'énergie, s'il n'en émettait pas, sa température augmenterait indéfiniment... Ceci est irréaliste, un corps noir réémet donc l'énergie qu'il a absorbée sous forme de rayonnements électromagnétiques. La quantité d'énergie réémise dépend de sa température. Ainsi, on a une "loi de rayonnement du corps noir" qui donne la valeur de l'énergie émise en fonction de la température du corps noir.

Toutefois, lorqu'on a dit cela, on n'a fait qu'effleurer le problème. En fait, le problème du corps noir est un problème qui a été à l'origine, par la « catastrophe ultraviolette » qu'il a engendrée, de la révolution quantique... Lire sur ce thème l'article « Fenêtre ouverte sur la mécanique quantique » par Gabrielle Bonnet.

La « catastrophe ultraviolette »

Les physiciens se sont intéressés à la loi de rayonnement du corps noir dès le début du vingtième siècle, et ont calculé, en vertu des lois de la physique classique, la densité d'énergie rayonnée dans chaque gamme de longueur d'onde :

ρ(λ,T) dλ = 8 π k T /λ4

ρ(λ,T) dλ est la quantité d'énergie émise correspondant à des longueurs d'onde comprises entre λ et λ + dλ, par un corps noir à la température T.

k, constante de Boltzmann, vaut k = 1,3806503 × 10-23 m2.kg.s-2.K-1

Toutefois, cette formule ne correspond pas à l'expérience.

Corps noir à 10.000K

Gabrielle Bonnet


Alors que les courbes théoriques et expérimentales correspondent raisonnablement bien pour les grandes longueurs d'onde, il n'y a plus du tout accord pour les petites longueurs d'ondes où on voit les valeurs expérimentales être beaucoup plus faibles que les valeurs théoriques qui, elles, devraient tendre vers l'« infini ». C'est ce que l'on a appelé à l'époque la « catastrophe ultraviolette ».

Il a fallu l'avènement de la physique quantique pour expliquer cette « catastrophe » et trouver enfin moyen de faire correspondre théorie et expérience.

Quantification(s) :

Un « artifice de calcul » pour retrouver les résultats expérimentaux

Planck obtint pour la première fois un bon accord théorie/expérience en supposant que l'énergie électromagnétique, au lieu d'être continue comme dans la théorie classique, ne peut prendre que des valeurs discrètes multiples de h c/ λ, où c est la vitesse de la lumière dans le vide : c = 299.792.458 m.s-1, et h, la constante de Planck, vaut h = 6,625 × 10-34 J.s.

Ce qui n'était alors qu'un « artifice de calcul » permet de trouver une formule qui correspond à l'expérience, la loi de Planck :


Cette formule, comme on pourrait s'y attendre, redonne la formule classique si on fait tendre h vers zéro, c'est-à-dire si on considère l'énergie électromagnétique comme continue.

En fait, l'avènement de la physique quantique a donné un sens à cet « artifice de calcul » des premiers temps, et la raison de la quantification de l'énergie est maintenant comprise.

Pourquoi le rayonnement émis ne dépend-il pas de la nature du matériau composant le corps noir ? Ou, dit autrement, que quantifie-t-on ?

Cette question, qui nous a été posée, est une question intéressante : en effet, on a vu que prendre en compte le caractère discret de l'énergie est essentiel afin de trouver la bonne expression de la densité d'énergie émise par un corps noir.

Par suite, si la quantification de l'énergie est déterminante, et sachant que les spectres d'émission de différents matériaux sont très variés, pourquoi la loi de rayonnement du corps noir ne dépend-elle que de la température de ce dernier ?

En fait, il faut se souvenir qu'il y a deux sortes de caractères discrets : le caractère discret des niveaux d'énergie des atomes, qui est à l'origine du caractère discret des spectres d'émission atomiques, et qui dépend du matériau considéré, et celui du rayonnement, qui consiste à interpréter le rayonnement comme constitué de photons chacun d'énergie h c/ λ, et qui, lui, ne dépend pas de la nature du matériau considéré.

Pour un couplage faible avec la matière, le rayonnement est décrit par la quantification des équations de Maxwell. Il est modélisé par une assemblée d'oscillateurs harmoniques à niveaux discrets et équidistants (leur distance s'interprète comme l'énergie du photon) pour chaque mode. La loi de Planck décrit alors le rayonnement à l'équilibre thermique, indépendamment des matériaux présents.

C'est ainsi que, dans la loi de rayonnement du corps noir, la quantification de l'énergie correspond à des « paquets d'énergie » multiples de h c/ λ, le quantum d'énergie h c/ λ s'interprétant comme l'énergie d'un photon. C'est donc le rayonnement que l'on quantifie ici, et la quantification des niveaux d'énergie du matériau constituant le corps noir n'intervient pas.

Applications

Dans la pratique, la loi de rayonnement du corps noir décrit convenablement le rayonnement, sous l'effet de la chaleur, par exemple d'un filament chauffé. Ainsi, les lampes à incandescence émettent un rayonnement qui obéit à la loi du corps noir.

De la même façon, le spectre continu émis par les étoiles (et dont une partie va être absorbée, donnant ainsi le spectre de raies qui nous est familier) peut être décrit aussi convenablement par la loi de Planck.

Le maximum de la courbe donnant la densité d'énergie émise en fonction de la longeur d'onde est donné par la loi de Wien :

λmax = h c / (4,965 kT).

et l'énergie totale émise est donnée par la loi de Stefan :

Flux énergétique émis intégré sur toutes les longeurs d'ondes = σ T4 où σ = 5,67 × 10-8 S.I.

On constate tout d'abord que la quantité totale d'énergie émise croît avec la température du corps noir : plus le corps est chaud, plus il émet de l'énergie électromagnétique.

On constate ensuite que le maximum d'énergie est émis pour une longeur d'onde qui décroît avec la température. Par conséquent, lorsque la température d'un corps s'élève, il émet d'abord dans l'infrarouge (ainsi, on peut repérer un être vivant la nuit grâce à des lunettes à infrarouge qui permet de déceler le rayonnement produit par tout corps chaud). Ensuite, lorsqu'il commence à émettre dans le visible, ce corps est d'abord rougeoyant, puis vire au jaune, puis au blanc...

Lorsque la température devient très intense, comme dans certaines étoiles, la lumière émise va l'être principalement dans les courtes longeurs d'onde, et l'objet nous apparaitra donc bleu.

Conclusion

La loi de rayonnement du corps noir est utilisée régulièrement dans sa forme la plus simple (variation de la couleur avec la température), dès la de seconde, pour déduire de sa couleur la température approchée d'une étoile. La plupart des personnes qui ont fait des études supérieures ont déjà vu la loi de Planck et ses corollaires (loi de Wien ou loi de Stefan).

Il n'est pour autant pas toujours évident que ce qui est quantifié, dans la loi du corps noir, ce ne sont pas les niveaux d'énergie de la matière (comme dans le cas des spectres d'émission ou d'absoption atomiques ou moléculaires du programme de seconde), mais le rayonnement lui-même.

Nous espérons que cet article bref favorisera une meilleure compréhension de cette double quantification (de la matière, et du rayonnement) qui existe en physique quantique, et de la façon dont cela explique l'universalité de la loi du corps noir, son indépendance par rapport au matériau qui constitue ce corps.

Pour citer cet article :

Le corps noir, Gabrielle Bonnet, mars 2005. CultureSciences Physique - ISSN 2554-876X, https://culturesciencesphysique.ens-lyon.fr/ressource/CorpsNoir.xml

Ressource au format PDF