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Mots-clés

Mars ondes sismiques conductivité champ magnétique rotation

La mission martienne InSight, objectif et instruments

08/04/2019

Chloé Michaut

Laboratoire de Géologie de Lyon / ENS de Lyon

Olivier Dequincey

ENS Lyon / DGESCO

Delphine Chareyron

ENS Lyon / DGESCO

Résumé

Présentation de la mission InSight, qui s'est posée sur Mars le 26 novembre 2018, et de ses instruments sismiques (SEIS), thermiques (HP3), astronomiques (RISE), magnétiques (Fluxgate), et météorologiques (APSS, TWINS).


1. Comprendre les origines de Mars

InSight, pour Interior exploration using Seismic Investigations, Geodesy, and Heat Transport, est le huitième atterrisseur à s'être posé avec succès sur le sol de la planète Mars. Mais c'est une mission très particulière dans l'histoire de l'exploration de la planète. Toutes les missions précédentes (figure 1) étaient dédiées à l'exploration de l'habitabilité : présence d'eau liquide dans le passé et traces de vie.


InSight (positionnée en blanc sur la figure 2) est la première station géophysique martienne. Elle a pour objectif de connaître la structure interne, c'est-à-dire la taille et la composition des différentes couches de la planète : le noyau, le manteau et la croute, ainsi que son état thermique actuel. Ces informations permettront de comprendre et de contraindre l'évolution de la planète depuis son accrétion, la nature du matériel ayant formé la planète, ainsi que le processus de différenciation qui a conduit à la formation des différentes couches.

Topographie de la surface de Mars

Figure 2.  Topographie de la surface de Mars

La surface martienne montre une plaine basse et faiblement cratérisée au Nord, un plateau d'altitude plus élevée et très cratérisée au Sud, et une région volcanique sub-équatoriale avec des terrains  “jeunes” (peu cratérisés).

InSight (point blanc) s'est posé dans la plaine Nord, à proximité de la plaine Sud.


Mars, figure 2, est une planète rocheuse, plus petite (3 400 km de rayon) que la Terre (6 370 km de rayon), qui présente les traces d'une intense activité volcanique passée en surface avec des grandes plaines de lave au Nord et des volcans géants (Olympus Mons étant le plus grand volcan de Mars et du système solaire), mais aussi d'une activité tectonique avec la présence d'un grand rift, Valles Marineris. Cependant, elle ne présente pas de tectonique des plaques, processus très spécifique à la Terre : les volcans ne sont pas alignés le long de limites de plaques tectoniques. Ils se sont formés à l'aplomb de grands panaches de matériel mantellique chaud remontant depuis les profondeurs du manteau par convection. Mars présente cependant une surface très ancienne, avec un âge moyen de l'ordre de 3 à 3,5 milliards d'années. Sur Terre, il n'existe au contraire que très peu de roches datant d'une période si ancienne. Connaître la structure de Mars nous permettra d'en apprendre un peu plus sur les premiers temps de notre planète, période pendant laquelle s'est initiée la tectonique des plaques.

2. La mission InSight

InSight est une mission américaine de la NASA, dont le responsable principal est Bruce Banerdt (JPL-CalTech, NASA, figure 5). La mission a bénéficié d'une collaboration internationale pour la réalisation des différents instruments qui la caractérisent.

InSight et ses instruments de mesure

InSight, arrivée sur Mars

InSight a atterri (figure 6) à l'endroit prévu le 26 novembre 2018, à environ 135°E, 4,5°N et a déployé ses panneaux solaires. Son envergure totale est de 6 m. Grâce à son bras articulé (figure 7) muni d'un grappin (IDAInstrument Deployment Arm), InSight a déployé le sismomètre SEIS à la surface de la planète lors du 23ème “jour” de la mission (ou sol 23[1]), après avoir repéré les meilleurs emplacements possibles pour ses deux instruments principaux grâce aux photographies prises par la caméra IDC (Instrument Deployment Camera), figure 8 et 9. Les processus de nivellement, d'ajustement du pendule à la gravité martienne, d'ouverture de la boucle LSA permettant le découplage mécanique des déformations thermoplastiques du câble reliant l'appareil à son boitier électronique ont duré quelques semaines et l'instrument SEIS est désormais sous sa cloche de protection des variations thermiques et des vents (WTS), et ce depuis le sol 66, figure 10.

La station InSight contient aussi plusieurs autres instruments.

InSight et son bras articulé

Repérage de l'emplacement de mise en place de SEIS

Ajustement de l'installation de SEIS à l'aide du bras IDA

Vue de SEIS avant la mise en place du bouclier WTS

3. SEIS, sismicité et structure interne de Mars

L'instrument principal, nommé SEIS (Seismological Experiment for Internal Structure), figure 11, contient six capteurs sismologiques, dont trois sismomètres ou pendules large-bande ultra sensibles ( VBB pour Very Broad Band), orientés dans les trois directions de l'espace. Le responsable principal de l'instrument est Philippe Lognonné (IPG Paris, figure 11). Ces pendules ont été conçus et développés par la France grâce à une collaboration entre le Centre National d'Études Spatiales (CNES) et l'Institut de Physique du Globe de Paris (IPGP) ; ils ont demandé plus de 20 ans de développement aux ingénieurs.

Ils sont sensibles sur une très large gamme de fréquences allant de 10-3 Hz à 10 Hz. Ces pendules contiennent un premier mécanisme qui a permis de les ajuster à la gravité martienne après leur déploiement en surface, ainsi qu'un second leur permettant de contrer les variations de température. Ils sont disposés au sein d'une sphère en titane sous vide disposée sur trois pieds articulés, sphère dont la conception avait initialement conduit à annuler puis repousser la mission de deux ans (InSight devait initialement être lancée en 2016).

SEIS est complété de trois capteurs à courte période (SP – Short Period), un pour chaque direction de l'espace, disposés sur la sphère en titane. Ces capteurs ont été fournis par l'Angleterre. Leur bande passante est de 0,1 Hz à 40 Hz ; ils n'ont pas nécessité d'ajustement à la gravité. La sphère en titane portant les capteurs est elle-même disposée sous une cloche alvéolée, utilisant l'atmosphère martienne comme isolant. Finalement, le bouclier WTS (Wind and Thermal Shield) avec sa jupe dorée épousant le relief et la rugosité du sol protège le tout des variations thermiques et du vent martien. Depuis son installation, SEIS peut maintenant fonctionner en continu, ce qui n'était pas le cas jusque-là. Il devrait fonctionner pendant au moins deux années terrestres (~1 année martienne).

SEIS, ses sismomètres et son bouclier (température et vent)

Figure 11. SEIS, ses sismomètres et son bouclier (température et vent)

En haut à gauche, un pendule (sismomètre) VBB et la sphère de titane sous vide qui héberge les pendules VBB. En haut à droite, sismomètres SP. En bas à gauche, vue 3D du système VBB à 3 pendules. En bas à droite, écorché de SEIS montrant la sphère de titane contenant les sismomètres VBB, sphère entourée d'une protection isolante et du bouclier WTS.


SEIS est donc une seule station sismique constituée de deux fois trois capteurs orthogonaux et non un réseau de sismomètres comme sur la Terre ou encore comme il en a été installé lors des missions Apollo sur la Lune (sur laquelle existe une activité sismique liée à sa contraction). Pour localiser les séismes à partir des enregistrements sismiques, on ne pourra donc pas utiliser la technique de triangulation. On se basera sur les temps d'arrivée et les polarisations de toutes les phases sismiques contenues dans le sismogramme : les ondes de volume se propageant à l'intérieur du globe, ondes P de compression dilatation et ondes S de cisaillement, ainsi que les ondes de surface se propageant à la surface du globe, ondes de Love et de Rayleigh. C'est pourquoi des capteurs large-bande étaient nécessaires à la mission.

Les temps d'arrivée des ondes de surface, en particulier, vont permettre d'obtenir la distance d'un séisme à la station, figure 12. En effet, si le séisme est suffisamment énergétique, plusieurs trains d'onde de surface pourront être enregistrés à la station : le premier train ayant parcouru la distance la plus courte entre l'épicentre et la station, le deuxième train, ayant parcouru un trajet opposé plus long, et le troisième train, ayant fait un tour complet plus la même distance que le premier train. La différence de temps d'arrivée entre le premier et le troisième train d'onde donnera le temps pour effectuer un tour complet, on pourra donc accéder à la vitesse des ondes de surface. La différence de temps d'arrivée entre le deuxième et le premier train d'ondes permettra de déterminer la distance épicentrale, en utilisant la vitesse précédemment déterminée. L'azimut du séisme sera, lui, déterminé en utilisant la polarisation des ondes de volume. L'onde P étant polarisée dans la direction de propagation, l'azimut pourra ainsi être déterminé à partir de l'amplitude des ondes P sur les trois composantes du sismogramme. Pour les séismes plus petits, moins énergétique et ne générant pas plusieurs trains d'onde de surface au niveau du sismomètre, on se basera sur la différence de temps d'arrivée entre les différentes phases sismiques (ondes P et ondes S en particulier).

Une source attendue de sismicité est la chute de météorites dont la fréquence estimée laisse entrevoir 5 à 10 impacts en deux ans (terrestres), durée prévue de la mission.


4. HP3, conductivité et gradient thermique

L'instrument HP3 (Heat flow and Physical Properties Package) dit « la taupe », est le deuxième instrument principal de la mission, figure 13. Il a été conçu et développé par l'agence spatiale allemande (DLR, Deutsche Zentrum für Luft- und Raumfahrt). Le responsable principal de l'instrument est Tilman Spohn (DLR, Berlin, Allemagne, figure 13). La taupe a pour but de mesurer la quantité de chaleur perdue à travers la surface de Mars au niveau du site d'atterrissage, afin de caractériser l'état thermique et l'évolution thermique de la planète depuis sa formation il y a 4,5 Ga.

Pour déterminer le flux de chaleur local, l'instrument doit mesurer deux quantités : le gradient de température dans le sous-sol (comment la température augmente en profondeur), ainsi que la conductivité thermique des roches du sous-sol (comment les roches du sous-sol conduisent la chaleur).


Pour mesurer le gradient de température, la taupe va pénétrer dans le sous-sol martien, qui est un régolithe (un sol constitué de grains fins, meuble et friable car constamment bombardé par des météorites), entre 3 et 5 m de profondeur, grâce à un simple mécanisme d'auto-martelage. Cette sonde va entraîner derrière elle un long câble contenant quatorze capteurs thermiques à des intervalles connus qui vont mesurer la température le long de ces 3 à 5 m de profondeur. Cette profondeur doit permettre de s'affranchir des variations d'origine météorologiques et climatiques du fait de la faible conductibilité thermique du régolithe martien (atténuation rapide des fluctuations thermiques de surface avec la profondeur) et de la position équatoriale du dispositif (variations climatiques minimales). Ces mesures de température seront réalisées pendant toute la durée de la mission. C'est la première fois que l'on va creuser si profond sur une planète tellurique (sur la Lune, pour connaître le flux de chaleur de main d'homme, on avait atteint 2,3 m de profondeur).

Les mesures de conductivité thermique vont être réalisées pendant la phase de pénétration de la sonde dans le sous-sol. Celle-ci va effectuer plusieurs cycles, où se suivront une phase de martelage et de pénétration et une phase de chauffage, lors de laquelle la taupe va libérer une quantité de chaleur connue. En mesurant l'évolution de la température pendant 48 h suite à cette libération de chaleur, on pourra estimer la conductivité thermique à la profondeur donnée. Le produit de la conductivité thermique et de la variation de la température avec la profondeur va nous donner le flux de chaleur, c'est-à dire la quantité de chaleur évacuée à travers la surface, au niveau du site d'atterrissage.

Comment ensuite extrapoler cette mesure à l'ensemble de la planète ? En effet, la croûte des planètes telluriques, dont Mars, a été formée par volcanisme. Or, lors d'une phase de fusion partielle du manteau, les éléments producteurs de chaleur (U, Th, K), ont tendance à se concentrer dans le liquide de fusion (le magma), qui formera ensuite la croûte. Ainsi, la croûte est plus concentrée en éléments producteurs de chaleur que le manteau. Les zones de croûte épaisse seront donc à priori des zones caractérisées par une production de chaleur plus importante et donc un flux de chaleur plus fort. Sur Mars, on observe des variations d'élévation importantes (l'hémisphère Sud est en moyenne environ 5 km plus haut en topographie que l'hémisphère Nord), qui résultent sans doute de variations d'épaisseur crustale.

Les mesures réalisées par l'instrument SEIS seront alors cruciales. Ces données sismiques vont en effet nous permettre d'obtenir l'épaisseur de la croûte sous la station géophysique, au niveau de la mesure de flux de chaleur réalisée par HP3. Ceci permettra une interprétation détaillée de la mesure locale de flux de chaleur. Les enregistrements réalisés par SEIS vont d'autre part nous donner l'épaisseur moyenne de la croûte martienne, ce qui permettra d'extrapoler cette mesure de flux de chaleur de manière globale, à toute la surface de Mars.

Le forage a commencé mais… la taupe bute sur un obstacle depuis le 1er mars 2019, à seulement 30 cm de profondeur. Le travail actuel consiste donc à déceler la nature de l'obstacle (galet ou une couche dure plus vaste) pour décider de la suite des opérations : arrêter (solution non envisagée pour l'insant), insister, débloquer en bougeant légèrement le dispositif de forage, qui ne peut être extrait et déplacé, avec le bras IDA

5. RISE, rotation et nutation de Mars

L'instrument RISE (Rotation and Interior Structure Experiment) se compose de deux antennes radio émettant dans la bande X, qui vont échanger des informations avec la Terre, figure 14. RISE fonctionne comme un miroir, il rélfléchit le signal émis par la Terre, pour révéler la position exacte de l'atterrisseur dans l'espace. La mesure est basée sur l'effet Doppler et permet d'obtenir une précision sur la position de 10 cm.

Ces données sont collectées afin d'étudier finement le processus de rotation de la planète sur elle-même. La planète effectue en effet un tour sur elle-même en un temps très comparable à la Terre : 24 h et 37 min. Mais, tout comme la Terre, l'axe de rotation de Mars décrit lui aussi un cercle autour d'un axe : c'est le phénomène de précession, dont la période est, pour Mars, d'environ 175 000 ans. Ce phénomène de précession présente finalement des oscillations de l'obliquité, appelées nutations, dont la période est de l'ordre de 2 années terrestres (une année martienne). Ces processus de précession et de nutation sont fonction du moment d'inertie de la planète et en particulier de la taille du noyau. En l'absence d'enregistrements de séismes, l'étude fine de ces phénomènes grâce à RISE pourra contraindre la taille du noyau martien.


6. Fluxgate, champ magnétique des roches martiennes

L'instrument Fluxgate est un magnétomètre qui va mesurer le champ magnétique éventuellement enregistré par les roches sous et autour de la station. La station pourra s'aider de son bras articulé pour approcher et étudier les roches alentours.

Le magnétomètre Fluxgate installé sur InSight

7. Station météorologique, pression, température et vitesse du vent

InSight est finalement équipée d'une station météorologique, dont le capteur de pression APSS (Auxiliary Payload Sensor Suite) et les capteurs thermique et de mesure de vent TWINS (Temperature and Wind Sensors). Les mesures réalisées par ces capteurs permettront non seulement de mieux comprendre la dynamique atmosphérique martienne mais aussi de découpler les enregistrements faits par SEIS de l'activité atmosphérique (qui peut aussi générer des signaux sismiques).


8. Pour en savoir un peu plus sur InSight

Pour retrouver les images présentées ainsi que de nombreux compléments, mais aussi pour suivre la mission :



[1] Le “sol” est la journée solaire martienne (24h37min). Le sol 23 est donc le 23e jour martien de la mission considérée, ici InSight. Une année martienne dure 668 sols (687 jours terrestres soit ~1,9 années terrestres)

Pour citer cet article :

La mission martienne InSight, objectif et instruments, Chloé Michaut, avril 2019. CultureSciences Physique - ISSN 2554-876X, https://culturesciencesphysique.ens-lyon.fr/ressource/mission-InSight.xml

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