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Mots-clés

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Hydrostatique d'un matériau granulaire ou la physique d'une colonne de sable

24/02/2009

Frédéric Restagno

Laboratoire de physique des solides, Université Paris-Sud 11, Orsay

Catherine Simand

Résumé

Présentation des matériaux granulaires en silo, illustrée d'un film sur une colonne de sable


Introduction

Jusqu'aux années 1970, les milieux granulaires, qui désignent les assemblées de grains indépendants, ont avant tout été étudiés pour des questions pratiques. Les observations de Coulomb au XVIIIe siècle sur l'angle des talus ont permis par exemple de donner des règles de stabilité des sols et édifices granulaires qui sont encore utilisées de nos jours (sous le nom de critère de Mohr-Coulomb). En 1884, Roberts remarque que, alors que la pression à la base d'une colonne d'eau est proportionnelle à la hauteur d'eau dans la colonne, la pression à la base d'un silo atteint une valeur de saturation, dès que la hauteur des grains dans le silo est supérieure au double du diamètre de celui-ci : on peut alors continuer à ajouter du blé, la pression à la base du silo ne varie plus. Les enjeux de ces études sont surtout industriels : il faut être capable de prédire les efforts subis par le silo, afin de choisir le plus efficacement sa forme et le matériau pour le construire. Les silos posent en outre le problème de l'écoulement des milieux granulaires : s'ils servent à entreposer des grains, il faut aussi pouvoir récupérer ceux-ci en vidant le silo par une ouverture située à sa base. Plusieurs phénomènes peuvent se produire lorsqu'on ouvre la trémie, en fonction en particulier de la taille de celle-ci : les grains peuvent rester bloqués, s'écouler par intermittences, ou alors s'écouler comme le ferait un fluide.

Ces problèmes pratiques de silos indiquent que les milieux granulaires possèdent de nombreuses propriétés qui méritent une étude fondamentale. De fait, depuis une trentaine d'années, une communauté se consacre à l'étude des matériaux granulaires dans tous leurs états : solide, liquide, gaz.

L'expérience du silo de Janssen

Film de l'expérience

Dans le petit film présenté ci-dessous, nous cherchons à reproduire l'expérience de Roberts, dont une explication théorique a été donnée par Janssen en 1895. C'est une expérience qui a été très étudiée récemment, en particuler par Loïc Vanel, Guillaume Ovarlez et Eric Clément [4,5] et qui a permis de trancher entre plusieurs modèles possibles de mécanique des matériaux granulaires.

Un piston placé sur une balance à l'intérieur d'une colonne transparente permet de mesurer le poids apparent d'une colonne d'un matériau granulaire placé dans un tube qui modélise un silo.

Figure 1. Film de l'expérience


Dispositif expérimental

Nous disposons d'un tube en plastique transparent (PMMA) de diamère 3 cm dans lequel glisse un piston légèrement plus petit. Ce piston ne frotte pas sur les parois du cylindre grâce à un jeu important entre le piston et le tube. Le tube est tenu rigidement par un système de tiges et noix classiquement utilisés en chimie. Le piston repose sur une balance électronique (gamme 2,5 kg - précision 1 g environ).

Pour cette expérience, nous avons utilisé des billes de verre PROLABO légèrement polydispersées (10 % sur le diamètre) de 1 mm de diamètre et de masse volumique ρ = 2,6 g.cm-3.

On verse les billes de verre grâce à un entonnoir situé en haut du tube de verre. La balance mesure le poids apparent de la colonne de bille.

Résultats

Au fur et à mesure de l'ajout des billes de verre, on observe :

  • Au début le poids mesuré par la balance augmente,
  • Dans un deuxième temps le poids mesuré par la balance sature et l'ajout de billes ne le modifie plus.

Au final, le poids total mesuré par la balance est très inférieur au poids réellement versé par l'expérimentateur.

Discussion

Il faut tout d'abord remarquer que le résultat de cette expérience est très différent de ce qui se passerait dans le cas d'un fluide versé progressivement dans un tube. En effet, il est bien connu, en particulier des plongeurs, que la pression augmente progressivement avec la hauteur d'eau dans un tube. Il est d'ailleurs possible de garder en tête que, pour de l'eau, la pression augmente d'une atmosphère tous les 10 m.

Dans l'expérience avec les matériaux granulaires, le piston se comporte comme une sonde de la pression au fond du tube, et donc, on observe que la pression dans un tube de granulaire sature au bout d'une certaine hauteur de billes versées (figure suivante).

Allure générale du profil de pression dans un granulaire en fonction de la profondeur

Figure issue de [4]

Figure 2. Allure générale du profil de pression dans un granulaire en fonction de la profondeur


L'explication de cette saturation est qualitativement simple : dans cette expérience, la colonne de billes frotte contre le tube transparent. La nature de cette force est une force de friction solide qui a la propriété d'exister même au repos. Ainsi, contrairement à ce qui se passe dans le cas des liquides, une partie du poids des billes versées est supportée par le tube, grâce aux forces de friction. On comprend ainsi que ce qui est observé soit différent de ce qui est classiquement observé dans le cas des liquides. Reste à comprendre l'origine physique de la saturation. Un moyen de comprendre ceci est de remarquer que les forces se répartissent de façon très inhomogène entre les grains. Des expériences ont d'ailleurs permis de mesurer directement la répartition des forces dans un tas de sable.

Tas bidimensionnel de disques biréfringents

A droite, le tas est placé entre polariseurs circulaires. Image extraite de [3].

Figure 3. Tas bidimensionnel de disques biréfringents


On remarque sur la figure 3 qu'il semble y avoir des chemins de « propagation » des forces, qu'on appellera « chaînes de forces ». On retrouve une propriété des voûtes architecturales : en supportant l'essentiel des forces, les grains situés le long des chaînes de forces protègent les grains situés en dessous.

Conclusion

La géométrie du silo est donc particulièrement adaptée pour observer d'éventuels effets macroscopiques des chaînes de forces : on s'attend à ce que le milieu granulaire s'arc-boute sur les parois pour résister à la gravitation en statique, expliquant ainsi le phénomène d'écrantage observé dans les silos, ou pour résister à la poussée en dynamique.

Pour aller plus loin : modèle heuristique de Janssen

La description d'un modèle mathématique simple prédisant une augmentation avec saturation exponentielle du poids versé est présenté dans [1]. D'autres expériences sur la physique des matériaux granulaires peuvent être trouvées dans [2].

Bibliographie

  • [1] Jacques Duran. Sables, poudres et grains. Eyrolles, Paris, 1997.
  • [2] Jacques Duran. Sables émouvants - La physique du sable au quotidien. Belin, 2003.
  • [3] R. Hartley, R. P. Berhringer, E. Kolb, G. Ovarlez, and E. Clément. Forces chains in a granular piston. Journal of the APS, 45, 2000.
  • [4] G. Ovarlez. Statique et rhéologie d'un milieu granulaire confiné. Thèse de doctorat, Université Paris-Sud 11, 2002.
  • [5] L. Vanel. Etude expérimentale de l'équilibre d'un milieu granulaire : exemples du silo et du tas de sable. Thèse de doctorat, Université Paris VI, 1999.

Pour citer cet article :

Hydrostatique d'un matériau granulaire ou la physique d'une colonne de sable, Frédéric Restagno, février 2009. CultureSciences Physique - ISSN 2554-876X, https://culturesciencesphysique.ens-lyon.fr/ressource/Colonne-sable-silo-milieu-granulaire.xml

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