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Des infrarouges aux gaz à effet de serre - Expériences et explications pour comprendre les phénomènes en jeu (3/3)

3 - Les gaz à effet de serre absorbent en partie les infrarouges moyens émis par la Terre

16/04/2025

Julien Delahaye

Institut Néel, CNRS, Grenoble

Aude Barbara

Institut Néel, CNRS, Grenoble

Olivier Cépas

Institut Néel, CNRS, Grenoble

Céline Goujon

Institut Néel, CNRS, Grenoble

Yvonne Soldo

Institut Néel, CNRS, Grenoble

Sylvie Zanier

UFR-PhITEM, Université Grenoble Alpes, Grenoble

Delphine Chareyron

ENS de Lyon

Résumé

Cette série de 3 articles propose un grand nombre d'expériences permettant d'appréhender le rayonnement infrarouge et montrant, à l'aide d'une caméra thermique standard, l'absorption et l'émission dans l'infrarouge moyen de gaz à effet de serre. Ce travail reprend le plan de conférences grand public données lors des éditions 2023 et 2024 de la fête de la science par le Groupe de médiation sur les enjeux environnementaux de l'Institut Néel et de l'UFR-PhITEM de l'Université Grenoble Alpes.


Objectifs pédagogiques de cette série d'articles

Les objectifs pédagogiques de cette série d'articles sont doubles :

  • Introduire la notion de rayonnement infrarouge en suivant l'expérience historique d'Herschel (et non en utilisant d'emblée une caméra thermique). L'expérience historique d'Herschel, très visuelle et simple à comprendre [article 1/3], permet à la fois de montrer l'existence d'un rayonnement « qui chauffe mais qu'on ne voit pas » avec des thermomètres et de le situer par rapport au spectre de la lumière visible « au-delà du rouge ». L'utilisation d'une thermopile comme capteur de rayonnement en préalable à celle d'une caméra thermique [article 2/3], permet de mettre en évidence le rayonnement infrarouge émis par des corps ayant des températures proches de la température ambiante, sans images en fausses couleurs.
  • Montrer, à l'aide d'une caméra thermique standard, les propriétés d'absorption (et d'émission) de gaz à effet de serre dans l'infrarouge moyen [article 3/3]. On utilise pour cela non pas le CO2, dont les raies d'absorption sont peu ou pas détectées par ces caméras, mais les gaz fluorés présents dans les bombes dépoussiérantes, faciles à se procurer.

Les expériences proposées s'accompagnent de la construction progressive d'un bilan radiatif simplifié de la Terre et de son atmosphère, figure 1 article [1/3]. Elles permettent également d'illustrer plusieurs expériences clés dans l'histoire de la compréhension de l'effet de serre : la découverte des infrarouges par William Herschel en 1800, les expériences d'absorption des gaz dans l'infrarouge moyen commencées par John Tyndall en 1859 et les premières mesures spectrales du rayonnement de la Terre par Samuel Langley en 1886.

1. Les gaz à effet de serre absorbent en partie les infrarouges moyens émis par la Terre

L'objectif de ce dernier article est de montrer et d'expliquer ce que sont les gaz à effet de serre. Cela permettra de comprendre pourquoi sur la figure 1 article [1/3], une partie des infrarouges émis par la Terre est « renvoyée » vers la Terre.

Pour cela, on propose tout d'abord d'étudier la transparence et l'opacité dans le visible et l'infrarouge moyen d'un certain nombre de matériaux solides, puis, on décrit des expériences simples à mettre en œuvre permettant de montrer l'absorption (et l'émission) d'infrarouges moyens par différents gaz à effet de serre.

2. Transparence et opacité de différents matériaux solides

  • Objectif : tester la transparence de différents matériaux solides dans l'infrarouge moyen à l'aide de la caméra thermique.

Dans cette série d'expériences relativement classiques [7,14], la caméra thermique est utilisée pour tester la transparence ou l'opacité de différents matériaux solides dans l'infrarouge moyen. Pour rappel, ce type de caméra détecte les infrarouges dans la gamme ≅ 8 - 14 µm (7,5 µm – 14 µm pour notre caméra, voir la section 4.2 article [2/3]).

Le principe de l'expérience est le suivant (voir figure 1). La caméra thermique est tournée vers une « source chaude » dont la température est supérieure à celle de la pièce où l'on se trouve (dans notre cas, l'enveloppe métallique noire d'une lampe halogène en fonctionnement, 70 °C < T < 80 °C). Cette source chaude apparait ici en jaune-orange sur fond bleu-violet. On désactive le mode automatique d'échelle des couleurs, puis on interpose, entre la source chaude et la caméra, différents objets à la température de la pièce. On regarde alors comment évolue l'image de la source chaude sur l'écran de la caméra.

Principe des tests de transparence et d'opacité de différents matériaux avec une caméra thermique

Figure 1.  Principe des tests de transparence et d'opacité de différents matériaux avec une caméra thermique

La caméra est placée devant une source d'infrarouges moyens dont la température est stable (ici l'enveloppe métallique noire d'une lampe halogène). Puis on interpose différents objets entre la caméra et la source d'infrarouges, en ayant désactivé auparavant le mode automatique de l'échelle des couleurs.

Source : Julien Delahaye et al.


  • Si l'objet est transparent aux infrarouges moyens, la source chaude reste clairement visible : la puissance de rayonnement détectée, et donc la couleur de la source sur l'image infrarouge, change peu.
  • Si à l'inverse l'objet est opaque aux infrarouges moyens (absorption et/ou réflexion), la source chaude n'est plus visible et disparaît dans le fond bleu-violet de l'image : c'est le rayonnement infrarouge de l'objet lui-même (à une température proche de la température ambiante) et/ou les reflets infrarouges de son environnement qui sont alors détectés.
  • Si la transparence n'est pas totale, la source chaude reste visible mais change significativement de couleur sur l'image : l'objet absorbe et/ou réfléchit une part significative des infrarouges émis par la source.

Pour classer de façon plus précise les différents objets en fonction de leur transparence dans les infrarouges moyens, il suffit de suivre l'évolution de la température apparente d'un point fixe, par exemple le spot blanc au centre de l'image (température donnée par la valeur « Cen »). Cette température apparente est directement reliée à la puissance de rayonnement reçue en ce point, et donc, plus elle est proche de celle de la source en l'absence d'objet, plus la transparence est grande. Sur les images infrarouges qui suivent, les températures apparentes affichées par la caméra sont obtenues en supposant une émissivité des surfaces de 0,97, valeur par défaut de la caméra. Pour l'interprétation des images infrarouges et la notion de température apparente, voir les sections 4.2 et 6 article [2/3].

Résultats des tests de transparence dans l'infrarouge moyen pour différents matériaux

Figure 2. Résultats des tests de transparence dans l'infrarouge moyen pour différents matériaux

Les objets testés ont été classés du plus transparent (température apparente du spot blanc, valeur « Cen », la plus élevée) au moins transparent (température apparente du spot blanc la plus basse). L'objet est dit transparent (réponse « oui ») si on continue de voir distinctement la source chaude (ici l'enveloppe métallique noire d'une lampe halogène). La température apparente du centre de l'image (spot blanc,valeur « Cen ») est indiquée entre parenthèses dans la colonne de droite. Quand les objets sont opaques, des reflets infrarouges sont parfois visibles sur les images.

Source : Julien Delahaye et al.


En comparant les différents objets présentés dans la figure 2, on constate que certains sont transparents dans le visible et opaques dans l'infrarouge moyen (le cristallisoir en verre, la plaque de plexiglass), et réciproquement (le sac poubelle noir). Il n'y a donc pas de règle universelle ! Le cas du verre est connu depuis longtemps puisque Edme Mariotte notait en 1681 dans son livre « De la nature des couleurs » (p. 560) que « la lumière et la chaleur du Soleil passent avec une « égale facilité » à travers le verre, contrairement à la lumière et la chaleur d'un feu : la lumière passe normalement, mais la chaleur est en grande partie arrêtée par le verre ». Les objets testés sur la figure 2 sont faiblement réfléchissants, et leur opacité partielle ou totale provient pour l'essentiel d'une absorption des infrarouges moyens.

Une façon plus ludique de procéder consiste à diriger la caméra thermique vers le visage ou la main de quelqu'un, et à interposer différents objets pour voir si le visage ou la main « disparaît ». Certaines matières peuvent donner lieu à des effets spectaculaires : on peut ainsi faire disparaître une main en la rentrant dans un pot en verre, alors qu'au contraire, un groupe de personnes caché derrière un sac poubelle devient « visible », figure 3.

En haut : main dans un cristallisoir en verre (Pyrex), avec l'image visible à gauche et l'image infrarouge à droite. En bas : groupe d'enfants derrière un sac poubelle

Figure 3.  En haut : main dans un cristallisoir en verre (Pyrex), avec l'image visible à gauche et l'image infrarouge à droite. En bas : groupe d'enfants derrière un sac poubelle

Conclusion : si on veut se cacher la nuit (aux yeux des caméras thermiques), il vaut mieux se mettre derrière une vitre que derrière un sac poubelle !

Source : Julien Delahaye et al.


3. Transparence et opacité de différents gaz : tests avec des ballons de baudruche

  • Objectif : montrer de façon simple, en utilisant des ballons de baudruche et une caméra thermique standard, ce qu'est un gaz à effet de serre.

Un gaz à effet de serre a pour particularité d'être transparent à la lumière visible et aux infrarouges proches (émis par le Soleil) et d'absorber en partie les infrarouges moyens (émis par la Terre). Pour mesurer la transparence ou non d'un gaz aux infrarouges moyens, la procédure est a priori plus délicate que pour les matériaux solides : le gaz doit être placé dans un récipient étanche, dont les parois doivent être les plus transparentes possible aux infrarouges moyens. D'après les tests précédents, cela exclut de nombreux matériaux solides courants, comme le verre ou le plexiglass.

3.1 Expérience 1 : Ballon de baudruche rempli avec de l'air

Nous avons testé la transparence de ballons de baudruche en latex naturel (choisis non colorés et plutôt transparents à la lumière visible) aux infrarouges moyens à l'aide de notre caméra thermique, toujours en utilisant l'enveloppe métallique noire d'une lampe halogène comme source chaude. On constate que quand les ballons sont gonflés avec de l'air à l'aide d'une pompe à vélo (et non soufflé par la bouche, pour éviter la forte humidité présente dans l'air expiré, voir plus loin), ils transmettent une part importante d'infrarouges moyens. En effet la température apparente mesurée au niveau du spot blanc sur la figure 4, qui est de ≅ 79 °C sans ballon, reste supérieure à 60 °C quand un ballon est gonflé à son volume maximal (environ 30 cm de diamètre). Ces ballons peuvent donc être utilisés comme contenant pour tester la transparence de différents gaz. La surpression dans un ballon de baudruche ne dépassant pas 0,1 bar, la pression du gaz à l'intérieur est toujours proche de la pression atmosphérique.

Transparence d'un ballon de baudruche en latex (plutôt transparent dans le visible) gonflé avec de l'air à l'aide d'une pompe à vélo, en fonction de son volume

Figure 4. Transparence d'un ballon de baudruche en latex (plutôt transparent dans le visible) gonflé avec de l'air à l'aide d'une pompe à vélo, en fonction de son volume

En haut : images de référence sans ballon. La température apparente du spot blanc au centre de l'image (valeur « Cen », ≅ 79 °C) est celle de l'enveloppe métallique noire de la lampe.

Sur les images en dessous, un ballon de baudruche est interposé entre la caméra et l'enveloppe de la lampe. La température apparente du spot blanc passe de ≅ 32 °C (ballon presque complètement dégonflé, deuxième série d'images en partant du haut) à ≅ 62 °C (images du bas) quand le ballon est gonflé à son volume maximum.

Source : Julien Delahaye et al.


Remarque :

L'absorption dans les infrarouges moyens du ballon gonflé à l'air diminue quand son volume augmente, figure 4. Ce résultat démontre que l'essentiel de cette absorption ne provient pas de l'air, mais du ballon lui-même : alors que l'épaisseur du gaz augmente (et que par conséquent son absorption devrait augmenter), la température apparente mesurée augmente. C'est ici l'épaisseur des deux parois du ballon traversées par les infrarouges moyens qui compte, épaisseur qui est d'autant plus faible que le latex est étiré. La transparence est d'ailleurs également plus grande en lumière visible (pour la même raison) quand le volume du ballon augmente. Pour pouvoir comparer la transparence de différents gaz, il faudra donc prendre soin d'avoir des ballons de même volume.

3.2 Expérience 2 : Comparaison entre des ballons de baudruches remplis avec différents gaz

Des ballons de baudruche ont été remplis avec de l'azote pur (qui n'est pas un gaz à effet de serre et qui servira donc de référence), de l'air, de l'air expiré, et avec deux gaz à effet de serre (GES) différents : du CO2 pur, et un mélange de GES fluorés contenu dans une bombe dépoussiérante (90% en masse de HFO-1234ze(E) ou trans-1,3,3,3-Tétrafluoropropène, de formule CFH=CH-CF3, et 10% en masse de HFC-152a ou 1,1-Difluoroéthane, de formule CH3–CHF2, gaz de marque « AIRSEC © », voir remarque). Pour gonfler le ballon avec du CO2 pur, nous avons utilisé une machine à eau gazeuse, simplement en ajustant à la main de façon étanche l'ouverture du ballon autour de la buse de sortie de l'appareil.

Les images infrarouges obtenues avec les ballons interposés entre la source chaude et la caméra thermique sont présentées sur la figure 5.

Images infrarouges de l'enveloppe métallique noire d'une lampe halogène sans (n°1) et à travers des ballons de baudruche remplis avec différents gaz (n°2 à 6)

Figure 5.  Images infrarouges de l'enveloppe métallique noire d'une lampe halogène sans (n°1) et à travers des ballons de baudruche remplis avec différents gaz (n°2 à 6)

Le diamètre des ballons au niveau du spot blanc est dans tous les cas proche de 27 cm. Il n'y aucune différence notable entre les différents ballons sur les images en lumière visible (sauf pour le ballon rempli d'air expiré, voir ci-dessous).

Source : Julien Delahaye et al.


Pour quantifier de façon plus précise l'absorption, on peut utiliser la température apparente indiquée par le spot blanc au centre des images de la figure 5 (valeur « Cen », voir tableau 1).

Tableau 1. Températures apparentes mesurées sur un point fixe de l'enveloppe métallique noire de la lampe avec la caméra thermique (spot blanc sur les images de la figure 5), en fonction de la nature du gaz remplissant un ballon de baudruche. Pour l'air expiré, la valeur mesurée augmente avec le temps écoulé depuis le gonflage (voir remarque ci-dessous).

Température apparente

Sans ballon (T référence)

79,0 ± 0,5 °C

Ballon avec azote

63,4 ± 0,5 °C

Ballon avec air

63,0 ± 0,5 °C

Ballon avec CO2

59,7 ± 0,5 °C

Ballon avec air expiré

58--- ? °C (voir remarque)

Ballon avec GES fluorés

24,0 ± 0,5 °C


Comparaison air / azote : il n'y a pas de différence visible sur les couleurs des images entre l'air et l'azote pur, et pas non plus de différence significative des températures apparentes. La vapeur d'eau et la faible quantité de CO2 (environ 0,04%) présentes dans l'air ne se traduisent pas par une absorption notable.

Comparaison azote / dioxyde de carbone : quand le ballon est rempli de CO2 pur, il n'y a pas non plus de différence visible avec la couleur de l'image prise avec l'azote pur. On note cependant une température apparente plus basse de ≅ 3 – 4 °C par rapport aux ballons remplis avec de l'azote ou de l'air, une différence faible mais significative compte tenu de nos incertitudes de mesure.

Comparaison azote / GES fluorés : quand le ballon est rempli de GES fluorés, l'enveloppe métallique qui apparaissait orange sur l'image infrarouge avec l'azote pur, devient fuchsia. Cette baisse notable de la puissance de rayonnement détectée, se retrouve dans les températures apparentes du spot blanc qui passent de plus de 60 °C à 24 °C, soit quelques degrés seulement au-dessus de la température ambiante (du fond de l'image).

Remarque à propos de l'air expiré :

Quand un ballon est rempli avec de l'air expiré, on constate une plus faible transparence dans le visible que pour les autres gaz juste après gonflage. L'air expiré étant plus chaud que l'air ambiant et saturé en vapeur d'eau (environ 35 °C et 100% d'humidité), une partie de cette vapeur d'eau se condense sur les parois plus froides du ballon et donne lieu à la formation de « buée », que l'on peut observer avec un microscope numérique. Cette condensation provoque une absorption significative des infrarouges moyens, qui s'ajoute à celle provoquée par la vapeur d'eau elle-même et les ≅ 4% de CO2 contenus dans l'air expiré). Cette buée disparait ensuite progressivement au cours du temps, peut-être en raison d'une absorption de l'eau par le latex naturel du ballon, et après une dizaine de minutes, la transparence dans le visible est généralement proche de celle observée avec les autres gaz.

Cette absorption notable des infrarouges moyens par le mélange de GES fluorés peut également se voir plus simplement en plaçant des ballons devant un bocal d'eau chaude, ou devant des visages (voir figures 6 et 7), qui restent visibles derrière le ballon d'air alors qu'ils disparaissent derrière le ballon rempli avec le mélange de GES fluorés.

Remarque : composition des bombes dépoussiérantes

En étudiant les fiches de sécurité de bombes dépoussiérantes commercialisées en France, il semblerait que si leur contenu n'est pas inflammable (absence du pictogramme correspondant), il se compose de gaz fluorés à effet de serre de type HFC ou HFO (voir plus loin). Ces gaz sont donc faciles à se procurer. L'appellation du gaz fluoré que nous avons utilisé ici (« AIRSEC © ») peut porter à confusion. On peut vérifier en soupesant à la main que le ballon de baudruche rempli d'AIRSEC est bien plus lourd qu'un ballon d'air de même volume : l'AIRSEC n'est pas de l'air sec !

4. Pourquoi une telle différence de transparence aux infrarouges moyens entre le mélange de gaz fluorés et le CO2 ?

  • Objectif : comprendre les influences respectives de la nature des gaz et de la réponse spectrale de la caméra thermique.

D'après les expériences précédentes, un ballon de baudruche rempli avec 90% de HFO-1234ze(E) et 10% de HFC-152a absorbe beaucoup plus fortement les infrarouges moyens détectés par notre caméra qu'un ballon rempli avec du CO2 pur. Comment comprendre cette différence, alors que ces gaz sont tous « à effet de serre » ?

Pour que l'absorption du rayonnement infrarouge émis par notre source chaude (70 °C < T < 80 °C) soit visible avec notre caméra thermique, il faut remplir deux conditions : les bandes d'absorption du gaz doivent être suffisamment intenses et larges en longueurs d'onde dans la gamme d'émission de la source ET ces bandes d'absorption doivent se trouver dans la gamme de longueurs d'onde détectée par la caméra thermique.

4.1 Comparaison entre la gamme de détection de la caméra thermique et les bandes d'absorption de différents gaz à effet de serre

Les sections efficaces d'absorption des différents gaz à effet de serre que nous avons utilisés (CO2, HFO-1234ze(E) et HFC-152a), obtenues à partir de la base de données spectroscopiques HITRAN (voir remarque ci-dessous), sont comparées à la réponse spectrale typique d'une caméra thermique standard (voir figure 9 article [2/3]) sur la figure 8. Cette première comparaison permet de situer les raies d'absorption les plus intenses par rapport à la réponse spectrale de la caméra. L'absorption réelle, qui prend en compte la concentration et l'épaisseur des gaz, sera discutée dans un second temps.

On constate que la bande d'absorption du CO2 située autour de 15 µm se trouve à la limite de la gamme de détection de la caméra, dans une zone où sa réponse spectrale est faible (une autre bande d'absorption située autour de 4 µm est en dehors de la gamme de détection). Ce n'est d'ailleurs pas un hasard puisque la gamme de détection des caméras thermiques standard coïncide avec ce qu'on appelle la fenêtre infrarouge de l'atmosphère, une zone où l'absorption par la vapeur d'eau, le dioxyde de carbone et le méthane, les principaux gaz à effet de serre sur Terre, est faible ou nulle (ce qui permet de limiter les effets de ces gaz sur les images infrarouges). La caméra thermique est donc peu sensible à l'absorption des infrarouges moyens par le CO2. Il en est de même pour le CH4, dont la bande d'absorption autour de 7,5 µm se trouve à la limite inférieure de la gamme de détection de la caméra.

En comparaison, les GES fluorés HFO-1234ze(E) et HFC-152a comptent plusieurs bandes d'absorption dans la gamme de longueurs d'onde où la réponse de notre caméra est la plus forte. La réponse spectrale de la caméra aura donc tendance à amplifier les effets d'absorption de ces GES fluorés par rapport à ceux du CO2.

Remarque : base HITRAN et sections efficaces d'absorption

Pour les gaz HFC-152a et HFO-1234ze(E), la base HITRAN donne directement les sections efficaces d'absorption en fonction du nombre d'onde à la pression normale (P = 1 atm, dans l'air ou du diazote) : entre 525 et 6 500 cm-1 (1,5 et 19,0 µm) pour le HFC-152a et entre 650 et 2 000 cm-1 (5,0 et 15,4 µm) pour le HFO-1234ze(E). Pour le HFO-1234ze(E), la base de données est incomplète, c'est pourquoi la section efficace vaut zéro sur certaines gammes de longueurs d'onde (voir figure 9). Attention, il existe aussi dans la base HITRAN une forme « cis » du HFO-1234ze appelée HFO-1234ze(Z) ou cis-1,3,3,3-Tétrafluoropropène. Pour le CO2 et le CH4, la base HITRAN donne les positions et amplitudes des raies d'absorption. La section efficace doit être reconstruite en choisissant une forme de raie et nous avons pris une lorentzienne tronquée à 25 cm-1.

Selon le choix de décroissance de la forme de la raie, des écarts de quelques pourcents sont obtenus sur les courbes de transmission. Les températures des simulations sont de 23 °C.

4.2 Spectre de transmission pour les différents gaz à effet de serre

Pour savoir quels gaz vont influer significativement sur le signal de la caméra thermique, il ne suffit pas de comparer la position des raies d'absorption les plus intenses à la réponse spectrale de la caméra. En effet, quand la concentration et/ou l'épaisseur des gaz devient importante, ce qui est le cas dans notre expérience (gaz purs, pression 1 atm), l'absorption peut devenir significative même loin des pics de sections efficaces.

Sur la figure 9, les sections efficaces sont tracées en échelle logarithmique et la valeur de la section efficace qui correspond à une absorption de 63% du rayonnement (transmission de 1/e) est indiquée par la ligne en pointillés noirs, pour 30 cm d'épaisseur d'un gaz parfait, P = 1 atm et T = 23 °C. On voit que les gaz fluorés HFO-1234ze(E) et HFC-152a absorbent plus de 63% du rayonnement dans une très large gamme de longueur d'onde, contrairement au CO2 ou au CH4, qui ne dépassent ce seuil que dans des intervalles limités de longueurs d'onde.

Sections efficaces d'absorption en échelle logarithmique de différents gaz : CO2 en noir, CH4 en rouge, HFO-1234ze(E) en vert et HFC-152a en jaune-vert

Figure 9.  Sections efficaces d'absorption en échelle logarithmique de différents gaz : CO2 en noir, CH4 en rouge, HFO-1234ze(E) en vert et HFC-152a en jaune-vert

La valeur de la section efficace qui correspond à une absorption de 63% du rayonnement (transmission de 1/e) est indiquée par la ligne en pointillés noirs pour 30 cm d'épaisseur d'un gaz parfait (P = 1 atm, T = 23 °C).

Source : Julien Delahaye et al.


À partir de ces sections efficaces et des concentrations des différents gaz présents dans les ballons de baudruche, on peut calculer les spectres transmis et détectés par la caméra thermique, figure 10.

Le spectre avec 30 cm de CO2 ou de CH4 est quasiment celui de la source tel qu'il est capté par la caméra : l'aire sous la courbe noire (respectivement rouge) qui donne la transmission représente 95% (respectivement 90%) de l'aire de la courbe bleue (sans absorption) pour le CO2 (respectivement le CH4). Le spectre en présence des GES fluorés présente en revanche de larges gammes de longueurs d'onde où l'absorption est totale : l'aire sous la courbe violette ne représente plus que 27% de l'aire de la courbe bleue, c'est-à-dire que 30 cm d'AIRSEC absorbe au moins 73% du rayonnement incident (« au moins » car la base de données HITRAN est incomplète : la section efficace d'absorption du HFO-1234ze(E) vaut zéro sur certaines gammes de longueur d'onde, voir remarque précédente sur la base HITRAN). On retrouve bien la forte absorption de l'AIRSEC mise en évidence expérimentalement sur les figures 6 et 7.

Remarque :

Pour pouvoir comparer plus précisément nos mesures à ces modélisations, il faudrait prendre en compte les bandes d'absorption des parois en latex naturel du ballon de baudruche, qui ne nous sont pas connues. Suivant la position en longueurs d'onde de ces bandes, elles peuvent amplifier ou au contraire atténuer les changements de température apparente attendus pour les différents gaz.

4.3 Pouvoir réchauffant / durée de séjour / efficacité radiative d'un gaz à effet de serre

Cette comparaison de différents gaz à effet de serre est aussi l'occasion de discuter de la notion de pouvoir réchauffant. Ce nombre, qui quantifie l'effet d'un gaz dans le réchauffement climatique en prenant le CO2 pour référence, est proportionnel à l'« efficacité radiative » du gaz (en simplifiant beaucoup, sa capacité à absorber les infrarouges moyens pour une quantité de gaz donnée) et à sa durée de séjour dans l'atmosphère. Connaissant ce nombre et la durée de séjour d'un gaz (la valeur de référence pour le CO2 est de 100 ans), on peut remonter à son « efficacité radiative » relative par rapport à celle du CO2.

Le HFC-152a et le HFO-1234ze(E) sont des composés fluorés qui appartiennent respectivement aux familles des HFC (hydrofluorocarbures) et HFO (hydrofluorines). Ils sont principalement utilisés comme fluides réfrigérants.

Les HFC ont remplacé en premier les CFC et les HCFC responsables de la destruction de la couche d'ozone et sont pour cela parfois qualifiés de « gaz écologiques ». Mais certains gaz de cette famille sont de puissants gaz à effet de serre. Sur l'étiquette de la bombe dépoussiérante, on peut lire que 0,04 kg de HFC-152a a un « poids équivalent CO2 » de 4,96 kg, soit ≅ 120 fois plus. Le rapport entre le « poids équivalent CO2 » du gaz et son propre « poids » correspond au pouvoir réchauffant global du gaz en question. Sachant que le HFC-152a a une durée de séjour de 1,5 ans seulement contre 100 ans pour la valeur de référence du CO2, un pouvoir réchauffant global de 120 signifie que son efficacité radiative est (100 ans / 1,5 ans) x 120 = 8 000 fois plus grande que celle du CO2.

Les HFO sont la quatrième génération de fluides réfrigérants, censés remplacer avantageusement les HFC grâce à un pouvoir réchauffant global plus faible. Pour le HFO-1234ze(E) présent dans notre bombe dépoussiérante, son pouvoir réchauffant n'est que de 6, soit environ 20 fois moins que pour le HFC-152a. Mais ce faible pouvoir réchauffant est dû à une durée de séjour de seulement 18 jours : son efficacité radiative est (100 ans / 18 jours) x 6 ≅ 12 000 fois celle du CO2, proche de celle du HFC-152a.

Dans les expériences d'absorption décrites ici, les gaz sont étudiés sur des temps courts, et c'est donc l'efficacité radiative qui compte et non le pouvoir réchauffant global. Avec des efficacités radiatives environ 10 000 fois supérieures à celles du CO2, on peut s'attendre à ce que le HFC-152a comme le HFO-1234ze(E) absorbent beaucoup plus fortement les infrarouges moyens que le CO2 à concentration égale, ce que confirment nos simulations.

5. Mise en évidence d'une émission de rayonnement infrarouge par les gaz à effet de serre fluorés

  • Objectif : observer l'émission d'un rayonnement infrarouge par un gaz à effet de serre.

D'après les expériences précédentes, le mélange de GES fluorés contenu dans notre bombe dépoussiérante absorbe fortement les infrarouges moyens dans la gamme de longueurs d'onde détectée par une caméra thermique standard. Il va donc émettre son propre rayonnement infrarouge dans cette même gamme de longueurs d'onde (loi du rayonnement de Kirchhoff). C'est d'ailleurs pour cette raison que sur la figure 6, le bocal rempli d'eau chaude disparait dans le fond de l'image infrarouge quand un ballon rempli de GES fluorés est placé devant : le gaz du ballon absorbe le rayonnement émis par le bocal chauffé, et émet un rayonnement de type corps noir correspondant à sa température, qui se confond avec celui des autres objets à la même température (on néglige l'effet de chauffage du gaz lié à l'absorption du rayonnement infrarouge).

Pour mettre en évidence cette émission de rayonnement infrarouge, nous nous sommes inspirés des expériences décrites récemment dans la référence [15] pour des ballons remplis avec du CO2, expériences qui nécessitent l'utilisation d'une caméra infrarouge très coûteuse, dont la gamme de détection (entre 3 et 5 µm) est ajustée sur une des bandes d'absorption du CO2. L'utilisation du mélange de GES fluorés en lieu et place du CO2 permet d'obtenir les mêmes effets mais en utilisant une caméra thermique standard, de moindre coût et donc plus accessible.

Quand des ballons remplis d'air ou de GES fluorés, tous deux à la température de la pièce, sont placés côte à côte sur une table, ils se fondent dans le décor (mur, table) à quelques effets de réflexion près, figure 11.

Par contre, quand on chauffe ou on refroidit les ballons, les images infrarouges révèlent des différences de comportement spectaculaires entre l'air et le mélange de GES fluorés, figure 12. Le ballon rempli d'air garde une couleur proche du fond, correspondant à une température apparente légèrement plus chaude ou plus froide, essentiellement en raison de l'émission du latex du ballon. Mais la couleur du ballon rempli avec des GES fluorés s'écarte sensiblement de celle du fond, avec une température apparente beaucoup plus élevée (puissance de rayonnement infrarouge plus grande) quand le gaz a été chauffé, ou plus basse (puissance de rayonnement plus petite) quand le gaz a été refroidi. C'est bien le rayonnement émis par le mélange de GES fluorés, dont la puissance dépend directement de sa température, qui est observé.

Mêmes ballons que sur la figure 11 (ballon de gauche : air, ballon de droite : mélange de GES fluorés) posés sur une table. Image de gauche : les ballons ont été chauffés à ≅ 40 °C pendant plusieurs minutes. Image de droite : les ballons ont été refroidis à ≅ 0 °C pendant plusieurs minutes

Figure 12.  Mêmes ballons que sur la figure 11 (ballon de gauche : air, ballon de droite : mélange de GES fluorés) posés sur une table. Image de gauche : les ballons ont été chauffés à ≅ 40 °C pendant plusieurs minutes. Image de droite : les ballons ont été refroidis à ≅ 0 °C pendant plusieurs minutes

Sur ces deux images infrarouges, l'échelle des couleurs a changé mais la température apparente du fond est la même, proche de 21 °C. On notera que les maximum (spot rouge) et minimum (spot bleu) de températures apparentes sont observés sur les nœuds des ballons, là où le latex est le plus épais (émissivité élevée).

Source : Julien Delahaye et al.


Le même raisonnement s'applique aussi pour la figure 11 : le rayonnement qui semble provenir du ballon de gauche (rempli avec de l'air) provient en réalité essentiellement du mur situé derrière, alors que pour le ballon de droite, il provient bien du mélange de GES fluorés contenu dans le ballon. Comme sur la figure 11, le mur et le mélange de GES fluorés sont à la même température (≅ 21 °C), les « couleurs » des deux ballons sont très proches.

Remarque :

Pour être chauffés et refroidis, les ballons sont placés dans un carton fermé, percé d'un trou qui permet d'introduire un pistolet à air chaud ou un sèche-cheveux (pour chauffer), ou de verser de l'azote liquide (pour refroidir). Un thermomètre digital de cuisine dont la sonde est enfoncée à travers le carton au niveau des ballons permet de contrôler la température depuis l'extérieur. Attention, si vous placez vos ballons dans un congélateur, les gaz fluorés peuvent devenir liquides : la température d'ébullition du HFO-1234ze(E) est de -19 °C (-24,7 °C pour le HFC-152a).

6. Comment mesurer l'absorption des infrarouges moyens par le CO2 ?

  • Objectif : montrer que le CO2 est un gaz à effet de serre.

Les expériences précédentes ont montré qu'il était difficile de mettre en évidence une absorption des infrarouges moyens par le CO2 avec un ballon de baudruche et une caméra thermique standard. Ce type de caméra est peu sensible aux bandes d'absorption du CO2, et l'utilisation d'un ballon de baudruche comme contenant introduit une incertitude non négligeable sur la mesure.

6.1 Montage de type « Tyndall »

Un autre montage expérimental, un peu plus complexe, peut être utilisé, figure 13. L'enveloppe métallique de la lampe halogène sert toujours de source chaude, mais la caméra thermique est remplacée par la thermopile de Moll utilisée précédemment (voir sections 4.1 et 5 article [2/3]) et qui présente une réponse spectrale constante entre 0,2 et 20 µm. On interpose cette fois entre la source chaude et la thermopile un tube fermé aux extrémités par des films plastiques (type film alimentaire ou sac de congélation) qui n'absorbent pas trop les infrarouges moyens (voir figure 2), serrés sur le tube par des élastiques pour faire l'étanchéité. Deux trous le long du tube permettent d'injecter un gaz (CO2, GES fluorés) et de faire sortir l'air du tube. Ce montage est une reproduction simplifiée des expériences historiques que John Tyndall [10] a réalisées à partir de 1859 pour étudier l'émission et l'absorption dans l'infrarouge moyen de différents gaz, et qui l'ont conduit à découvrir notamment que la vapeur d'eau et le dioxyde de carbone sont des gaz à effet de serre (voir figure 5 article [2/3]).

Montage de type « Tyndall » permettant de mesurer l'absorption des infrarouges moyens par différents gaz

Figure 13.  Montage de type « Tyndall » permettant de mesurer l'absorption des infrarouges moyens par différents gaz

Un tube en carton, fermé à ses extrémités par des films plastiques et dans lequel différents gaz peuvent être introduits est placé entre une source chaude (plaque métallique d'une lampe halogène, à gauche, visible à travers une fenêtre carrée découpée dans un carton) et une thermopile de Moll (à droite). Le tube en carton fait ici 29 cm de longueur.

Source : Julien Delahaye et al.


On commence par mesurer la tension aux bornes de la thermopile avec le tube ouvert, puis avec les films plastiques sur les extrémités du tube. La tension baisse d'environ 30%, ce qui confirme l'absorption relativement faible de ces films dans l'infrarouge moyen. Puis on injecte pendant un certain temps du CO2 dans le tube. On attend quelques dizaines de secondes que le signal se stabilise (temps de réponse de la thermopile, et thermalisation du gaz injecté, généralement plus froid que l'air ambiant), puis on relève la nouvelle tension. La baisse observée traduit l'absorption du CO2 sur la (large) gamme de longueurs d'onde émise par la source chaude. On peut également injecter le mélange de GES fluorés contenu dans la bombe dépoussiérante pour comparer. Les résultats obtenus sont reportés dans le tableau 2.

Tableau 2.  Tensions mesurées avec la thermopile pour différentes configurations et en présence de différents gaz. Pourcentage de transmission calculé en prenant comme référence le tube fermé contenant de l'air et en supposant la puissance du rayonnement proportionnelle à la tension mesurée.

Tension mesurée (µV)

Transmission (%)

Tube « ouvert » (Air)

460 ± 10

Tube « fermé » (Air)

330 ± 10

100 (référence)

Tube « fermé » (CO2)

295 ± 10

90 ± 5

Tube « fermé » (GES fluorés)

60 ± 10

18 ± 3


On observe environ 10% de baisse de transmission avec du CO2 contre plus de 80% de baisse pour les GES fluorés (par rapport à l'air). En répétant les mesures, les valeurs fluctuent un peu, probablement car la quantité de CO2 ou de GES fluorés dans le tube n'est pas parfaitement contrôlée, et car le « zéro » de la thermopile dérive dans le temps (il est préférable de le refaire avant chaque série de mesure).

6.2 Comparaison avec les transmissions calculées

Pour du CO2 pur placé dans un tube (sous 1 atm), on peut calculer la transmission relative du rayonnement de corps noir à 80 °C à partir de la loi de Beer-Lambert et de la section efficace d'absorption en fonction de la longueur du tube, figure 14. Pour notre tube de 29 cm, on s'attend à une transmission d'environ 90%, en accord avec nos mesures. Pour le mélange de GES fluorés, un calcul précis n'est pas possible car les sections efficaces ne sont connues pour le HFO-1234ze(E) qu'entre 5 et 15 µm (et pas pour toutes les longueurs d'onde dans cet intervalle, voir remarque sur la base HITRAN dans la section 4.1).

Remarque :

Comme pour la caméra thermique, pour comparer la courbe de la figure 14 à la transmission mesurée expérimentalement avec une thermopile, il faudrait en toute rigueur prendre en compte les bandes d'absorption des films plastiques en entrée et en sortie de tube.

7. Bilan radiatif de la Terre : étape 3

Le cas des HFC et HFO illustre de manière convaincante ce que sont les gaz à effet de serre : ils sont transparents à la lumière visible (et proche infrarouge) et absorbent une part importante des infrarouges moyens émis par la Terre (la réalité peut être plus complexe, notamment en ce qui concerne la vapeur d'eau). Les différents gaz à effet de serre présents dans l'atmosphère (d'origine anthropique ou non : H2O, CO2, CH4, etc.) vont donc absorber une partie du rayonnement infrarouge (moyen) émis par la Terre. Cette absorption conduit à un échauffement de l'atmosphère, qui émet à son tour un rayonnement d'infrarouges moyens vers l'espace mais aussi vers la Terre, figure 15.

Ce supplément de rayonnement qui arrive sur Terre se traduit par une augmentation de la température de surface, donc une augmentation du rayonnement de la Terre, et ainsi de suite. Un nouvel état d'équilibre est atteint quand au total 340 W/m2 repartent à nouveau vers l'espace (240 W/m2 dans l'infrarouge moyen). Pour une température d'équilibre de 15 °C, qui correspond à la température moyenne actuelle à la surface de la Terre, la puissance émise par la surface de la Terre est de 390 W/m2 (loi de Stefan-Boltzmann). Les gaz à effet de serre dans l'atmosphère issus des activités humaines (CO2, CH4, etc.) sont déjà responsables d'une augmentation de la température moyenne de plus de 1 °C, mais c'est bien l'effet de serre "naturel" (non anthropique) qui permet d'avoir sur Terre des températures favorables au développement de la vie.

Pour aller plus loin…

Le bilan radiatif présenté sur la figure 1 article [1/3] et repris tout au long de ces trois articles correspond à un modèle très simplifié de l'effet de serre dit « à une couche ». Pour des modèles plus réalistes et une discussion plus approfondie de l'effet de serre, on pourra se reporter à d'autres articles (voir par exemple la référence [16]). Et pour répondre à la question de savoir pourquoi certains gaz sont des gaz à effet de serre et d'autres non, on pourra visionner l'excellente vidéo produite en 1962 par la « Chemical Education Material Study » et consacrée à la spectroscopie moléculaire [17].

Remerciements

Nous voulons remercier Véronique Boutou (Institut Néel, Grenoble) et Daniele Romanini (LIPhy, Grenoble) pour leur aide précieuse, notamment sur les propriétés d'absorption des gaz.

Références

[1] Effet de serre, une illustration remise dans son contexte, Delphine Chareyron et Olivier Dequincey, avril 2023. CultureSciences Physique - ISSN 2554-876X.

[2] William Herschel a décrit ses expériences dans quatre articles, tous publiés en 1800 dans les Philosophical Transactions of the Royal Society of London, volume 90, respectivement p. 255-283, p. 284-292, p. 293-326, et p. 437-538.

[3] À la découverte des infrarouges, 1ère partie : l'expérience d'Herschel comme introduction à l'effet de serre, Julien Delahaye, Aude Barbara, Olivier Cépas, Céline Goujon, Yvonne Soldo et Sylvie Zanier, à paraître au Bup.

[4] Fluorescence et phosphorescence, site 123couleurs.fr.

[5] Page Wikipédia Sunlight.

[6] À la découverte des infrarouges, 2ème partie : spectrométrie avec un prisme et des thermomètres, Julien Delahaye, Aude Barbara, Olivier Cépas, Céline Goujon, Yvonne Soldo et Sylvie Zanier, à paraître au Bup.

[7] Rayonnement, opacité et effet de serre, Patrick Thollot et Olivier Dequincey, juin 2021. CultureSciences Physique - ISSN 2554-876X.

[8] Recherches sur plusieurs phénomènes calorifiques entreprises au moyen du thermomultiplicateur, Nobili et Melloni, Annales de chimie et de physique, 1831, p.198. Notice : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb343780820

[10] La chaleur, mode de mouvement, 2e édition française, traduite de l'anglais sur la 4e édition par M. l'abbé Moigno, John Tyndall, 1873, p234. Notice : http://ark.bnf.fr/ark:/12148/cb31508169j

[11] The infrared pioneers – III. Samuel Pierpont Langley, E. Scott Barr, Infrared Physics, Vol. 3, p.195, 1963.

[13] Observations on Invisible Heat Spectra and the Recognition of Hitherto Unmeasured Wavelengths Made at the Allegheny Observatory, Samuel Langley, American Journal of Science, Vol.s3-31, issue 181, 1886. Notice : https:/​/​doi.org/​10.2475/​ajs.s3-31.181.1

[14] Principes de base de l'effet de serre, Jean-Louis Dufresne, mai 2020. CultureSciences Physique - ISSN 2554-876X.

[15] Cheminement conceptuel empiriquement fondé pour comprendre le rôle du CO2 dans le réchauffement climatique, Valentin Maron, Jean-Louis Dufresne, Lionel Pélissier, Alain Rabier, dans Après les 12èmes rencontres scientifiques… Actualités des recherches en didactiques des sciences et des technologies, Toulouse 2022, p. 223, Ed. ARDiST (2024) ; « Comment comprendre la cause principale du changement climatique avec un minimum de prérequis ? », Valentin Maron, Jean-Louis Dufresne, Lionel Pelissier, Alain Rabier et Medhi Cochepin, HAL Id : hal-04744461 (2024).

[16] L'effet de serre atmosphérique : plus subtil qu'on ne le croit !, Jean Louis Dufresne et Jacques Treiner, La Météorologie, n°72, février 2011.

[17] Molecular spectroscopy, vidéo produite par la Chemical Education Material Study, 1962. Voir aussi la vidéo présentant les modes propres de trois oscillateurs couplés, Sylvie Zanier, UGA, 2023. Cette expérience peut servir d'analogie pour les modes de vibration et résonances d'une molécule triatomique comme le CO2, responsable de l'absorption de la lumière infrarouge, et donc de l'effet de serre atmosphérique en jeu dans le processus de réchauffement climatique.

Pour citer cet article :

Des infrarouges aux gaz à effet de serre - Expériences et explications pour comprendre les phénomènes en jeu (3/3), Julien Delahaye, Aude Barbara, Olivier Cépas, Céline Goujon, Yvonne Soldo, Sylvie Zanier, avril 2025. CultureSciences Physique - ISSN 2554-876X, https://culturesciencesphysique.ens-lyon.fr/ressource/Infrarouges-GES_Delahaye-3.xml

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