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Des infrarouges aux gaz à effet de serre - Expériences et explications pour comprendre les phénomènes en jeu (2/3)

2 - La Terre émet aussi des infrarouges

07/04/2025

Julien Delahaye

Institut Néel, CNRS, Grenoble

Aude Barbara

Institut Néel, CNRS, Grenoble

Olivier Cépas

Institut Néel, CNRS, Grenoble

Céline Goujon

Institut Néel, CNRS, Grenoble

Yvonne Soldo

Institut Néel, CNRS, Grenoble

Sylvie Zanier

UFR-PhITEM, Université Grenoble Alpes, Grenoble

Delphine Chareyron

ENS de Lyon

Résumé

Cette série de 3 articles propose un grand nombre d'expériences permettant d'appréhender le rayonnement infrarouge et montrant, à l'aide d'une caméra thermique standard, l'absorption et l'émission dans l'infrarouge moyen de gaz à effet de serre. Ce travail reprend le plan de conférences grand public données lors des éditions 2023 et 2024 de la fête de la science par le Groupe de médiation sur les enjeux environnementaux de l'Institut Néel et de l'UFR-PhITEM de l'Université Grenoble Alpes.


Objectifs pédagogiques de cette série d'articles

Les objectifs pédagogiques de cette série d'articles sont doubles :

  • Introduire la notion de rayonnement infrarouge en suivant l'expérience historique d'Herschel (et non en utilisant d'emblée une caméra thermique). L'expérience historique d'Herschel, très visuelle et simple à comprendre [article 1/3], permet à la fois de montrer l'existence d'un rayonnement « qui chauffe mais qu'on ne voit pas » avec des thermomètres et de le situer par rapport au spectre de la lumière visible « au-delà du rouge ». L'utilisation d'une thermopile comme capteur de rayonnement en préalable à celle d'une caméra thermique [article 2/3], permet de mettre en évidence le rayonnement infrarouge émis par des corps ayant des températures proches de la température ambiante, sans images en fausses couleurs.
  • Montrer, à l'aide d'une caméra thermique standard, les propriétés d'absorption (et d'émission) de gaz à effet de serre dans l'infrarouge moyen [article 3/3]. On utilise pour cela non pas le CO2, dont les raies d'absorption sont peu ou pas détectées par ces caméras, mais les gaz fluorés présents dans les bombes dépoussiérantes, faciles à se procurer.

Les expériences proposées s'accompagnent de la construction progressive d'un bilan radiatif simplifié de la Terre et de son atmosphère, figure 1 article [1/3]. Elles permettent également d'illustrer plusieurs expériences clés dans l'histoire de la compréhension de l'effet de serre : la découverte des infrarouges par William Herschel en 1800, les expériences d'absorption des gaz dans l'infrarouge moyen commencées par John Tyndall en 1859 et les premières mesures spectrales du rayonnement de la Terre par Samuel Langley en 1886.

1. La Terre émet aussi des infrarouges

L'objectif de ce deuxième article est d'expliquer que tout corps émet un rayonnement dont le spectre dépend de sa température. Les corps qui sont à des températures proches de la température ambiante émettent des infrarouges, mais principalement des infrarouges dits moyens (longueurs d'onde entre 3 et 25 microns). Nous montrerons dans cet article comment ce rayonnement peut être détecté. Cela permettra de comprendre ce que représente la flèche rouge qui part de la Terre vers l'espace sur la figure 1 article [1/3].

Nous avons montré dans l'article [1/3] comment l'utilisation du réservoir noirci d'un thermomètre à liquide permet de mettre en évidence l'existence d'infrarouges proches dans la lumière du Soleil ou dans celle d'une ampoule halogène. Pour détecter le (plus faible) rayonnement infrarouge émis par des corps qui sont à des températures proches de la température ambiante, nous allons utiliser deux capteurs beaucoup plus sensibles : une thermopile dite « de Moll » et une caméra thermique. Ces capteurs sont des versions modernes de deux capteurs introduits au XIXe siècle, la thermopile et le bolomètre, qui ont joué un rôle déterminant dans la compréhension de l'effet de serre atmosphérique.

2. Rayonnement d'un corps en fonction de sa température : la loi du corps noir

  • Objectif : expliquer que des corps dont la température est proche de la température ambiante émettent des infrarouges moyens.

Au cours du XIXe siècle, le développement de nouveaux capteurs plus sensibles que le réservoir noirci d'un thermomètre (voir section 4 article [1/3]), permet d'étudier le rayonnement émis par des corps ayant des températures proches de la température ambiante. Des mesures de John Tyndall exploitées par Jozef Stefan en 1879 montrent une dépendance de la puissance rayonnée en T4. Ludwig Boltzmann explique cette dépendance par des considérations thermodynamiques en 1884 (loi de Stefan-Boltzmann). C'est Gustav Kirchhoff qui formule en 1859 le lien entre émission et absorption des corps. Il introduit en 1861 la notion de « corps noir » : un corps noir est un corps idéal qui absorbe parfaitement toutes les longueurs d'onde. Il montre que son émission est alors caractérisée par une fonction « universelle » de la longueur d'onde et de la température qu'il s'agit de trouver. Pour un corps qui n'absorbe pas parfaitement toutes les longueurs d'onde, on introduit un facteur correctif ε (λ) appelé émissivité qui dépend de la longueur d'onde. Nous reviendrons plus en détail sur l'émissivité dans la section 4.2 sur le fonctionnement de la caméra thermique.

Les premières mesures de spectres de corps chauffés sont faites notamment par Samuel Langley (voir plus loin). Wilhelm Wien va montrer que des contraintes théoriques impliquent que le maximum d'émission du spectre se déplace vers les courtes longueurs d'onde quand la température de surface des objets augmente (λmax ∝ 1/T, loi de Wien, 1893). Mais les tentatives reposant sur la mécanique classique (par exemple celle de John Rayleigh en 1900) échouent à reproduire les spectres mesurés de façon de plus en plus précise. Les hypothèses ad hoc de Max Planck la même année lui permettront de proposer une loi reproduisant parfaitement la forme du spectre (la loi du corps noir) et conduiront à la naissance de la physique quantique.

Au sujet du corps noir

On pourra retrouver les étapes historiques du corps noir jusqu'à la loi de Wien dans la conférence : « La difficile naissance de la mécanique quantique, de Kirchhoff à Einstein ».

Un rayonnement de corps noir à plusieurs milliers de degrés couvre une gamme allant des infrarouges proches jusqu'à une part notable de lumière visible. Pour un corps à 5 600 °C (comme le Soleil), le maximum d'émission correspond à une longueur d'onde d'environ 0,5 µm (courbe noire de la figure 1). L'œil humain est justement adapté au rayonnement du Soleil, le spectre de lumière visible étant compris entre 0,38 µm et 0,78 µm. Un corps noir proche de la température ambiante émet un rayonnement qui se compose essentiellement d'infrarouges moyens. Pour un corps à 15 °C, le maximum d'émission se situe autour de 10 µm (courbe rouge de la figure 1). Ce modèle décrit relativement bien le rayonnement émis par le Soleil (voir figure 11 article [1/3]), et par la Terre (voir par exemple la figure 14 de la référence [7]).

Luminance spectrale en W.m-2.sr-1.m-1 donnée par la loi du corps noir pour des températures de surface de 5 900 K (≅ 5 600 °C, température à la surface du Soleil) et 288 K (15 °C, température moyenne à la surface de la Terre)

Figure 1.  Luminance spectrale en W.m-2.sr-1.m-1 donnée par la loi du corps noir pour des températures de surface de 5 900 K (≅ 5 600 °C, température à la surface du Soleil) et 288 K (15 °C, température moyenne à la surface de la Terre)

Les longueurs d'onde des maxima d'émission des spectres sont respectivement d'environ 0,5 µm (vert-bleu) et environ 10 µm (infrarouges moyens). Attention : on notera que l'échelle de luminance du corps noir à 288 K est 106 fois plus petite que celle du corps noir à 5 900 K.

Source : Julien Delahaye et al.


Cette loi explique le changement de couleur observé lors de l'expérience d'introduction avec la lampe halogène (voir section 1 article [1/3]). Quand la température du filament est trop basse, la lumière se compose presqu'uniquement d'infrarouges, on ne voit rien. Quand la température augmente, le rayonnement émis augmente à toutes les longueurs d'onde et le maximum d'émission se décale vers le domaine visible, figure 2. La part de lumière visible augmente, et la part du rouge dans cette lumière visible diminue progressivement : le filament devient de plus en plus lumineux et sa couleur passe du rouge-orangé au jaune-blanc.

Remarque :

Même des corps très froids rayonnent. Le rayonnement fossile de l'univers (ou fond diffus cosmologique) est bien décrit par une loi de corps noir à 2,7 K, avec un maximum d'émission dans le domaine des micro-ondes (λmax ≅ 1 mm). Lors des mesures réalisées avec le satellite Planck, ce rayonnement était détecté avec des bolomètres (voir section 3.2) refroidis à très basses températures (0,1 K).

3. La thermopile et le bolomètre : deux capteurs « historiques » clés dans la compréhension de l'effet de serre

  • Objectif : introduire deux capteurs historiques de rayonnement (la thermopile et le bolomètre), expliquer leurs principes de fonctionnement et évoquer le rôle qu'ils ont joué dans la compréhension de l'effet de serre atmosphérique.

Les fonctionnements des trois capteurs « historiques » de rayonnement, que sont le réservoir noirci d'un thermomètre à liquide (voir expérience d'Herschel article [1/3]) la thermopile et le bolomètre, sont schématisés sur la figure 3. Ils reposent tous sur le même principe. Un (excès) de rayonnement (visible ou infrarouge) est absorbé par une surface noircie, la température d'une partie du capteur (l'absorbeur) augmente, et cette augmentation de température se traduit par un signal physique : dilatation d'un liquide (thermomètre à liquide), génération d'un courant ou d'une tension électrique par effet Seebeck (thermopile) ou changement de résistance électrique (bolomètre).

De gauche à droite, trois capteurs « historiques » de rayonnement : le thermomètre à liquide (à réservoir noirci), la thermopile et le bolomètre

Figure 3.  De gauche à droite, trois capteurs « historiques » de rayonnement : le thermomètre à liquide (à réservoir noirci), la thermopile et le bolomètre

Les différences de température T - Tref indiquent la sensibilité maximale de chaque capteur.

Source : Julien Delahaye et al.


Dans les trois cas, c'est une variation de la température de l'absorbeur par rapport à une température de référence, généralement celle de la pièce où la mesure est faite, qui est mesurée. Ces capteurs ne donnent donc pas accès à une mesure absolue de la puissance du rayonnement reçue : si tous les objets qui entourent le capteur sont à la même température, on ne détecte pas de signal, alors même que le capteur et les objets qui l'entourent échangent de l'énergie par rayonnement. Si on place le capteur en face d'un objet « froid », les échanges par rayonnement entre l'absorbeur et l'objet sont tels que la température du capteur baisse. C'est une puissance de rayonnement « perdue » qui est alors mesurée.

3.1 La thermopile

La thermopile, mise au point par Leopoldo Nobili et Macedonio Melloni en 1831 [8], est déjà dans ses premières versions 50 fois plus sensible qu'un thermomètre, et peut être affectée « par la chaleur naturelle d'une personne placée à 25 - 30 pieds » (8 - 9 mètres). Melloni, que Samuel Langley appelait « le Newton de la chaleur », réalise un grand nombre d'expériences à l'aide de ce capteur (la plupart de ses articles scientifiques sont rédigés en français [9]). Il étudie en particulier la transparence de différents matériaux solides et liquides aux infrarouges émis par les corps « froids » et les corps « chauds ».

Pile thermoélectrique de Nobili-Melloni

Figure 4. Pile thermoélectrique de Nobili-Melloni

La thermopile était reliée à un galvanomètre, permettant de mesurer les courants thermoélectriques.

Source : Laboratoire d'histoire des sciences et des techniques, EPFL (École polytechnique fédérale de Lausanne).


La thermopile est jusqu'à la fin du XIXe siècle un instrument de choix pour étudier les propriétés de la chaleur. En 1868, dans son livre « La chaleur, mode de mouvement » [10], John Tyndall écrit : « Nous avons en main notre inestimable pile thermoélectrique, dont la face est maintenant enduite de noir de fumée, puissant absorbant de la chaleur environnante. Je la tiens en face de la joue de mon préparateur, cette joue est un corps rayonnant, voyez l'effet produit par ces rayons : la pile les boit, ils engendrent de l'électricité et l'aiguille du galvanomètre va à 90°. ». C'est avec ce type de capteur que Tyndall fait les premières mesures d'absorption des infrarouges par des gaz et qu'il découvre que la vapeur d'eau et le dioxyde de carbone sont des gaz à effet de serre (schéma de l'expérience sur la figure 5). Les thermopiles sont encore utilisées aujourd'hui, par exemple dans des détecteurs de présence ou dans des thermomètres médicaux à infrarouges.

Schéma de l'un des montages utilisés par John Tyndall pour mesurer l'absorption des infrarouges moyens par les gaz

Figure 5.  Schéma de l'un des montages utilisés par John Tyndall pour mesurer l'absorption des infrarouges moyens par les gaz

Les gaz sont introduits dans le tube au centre, la source chaude (C) d'infrarouges moyens est à droite et la thermopile à gauche du tube.

Source : La chaleur, mode de mouvement, John Tyndall, 1873, p. 291 [10].


3.2 Le bolomètre

Le bolomètre est mis au point en 1881 par Samuel Langley, avec un gain de sensibilité d'un facteur 15 par rapport à la thermopile, annoncé dès les premières versions (sensibilité de 10-5 °C), et même beaucoup plus par la suite (10-8 °C en 1901) [11]. Ce capteur permet d'après Langley de détecter « une vache à un quart de mile » (environ 400 mètres).

Samuel Langley va notamment utiliser ce capteur extrêmement sensible pour répondre à la question qu'il se pose : « Quelles sont les longueurs d'onde émises par des sources non lumineuses, comme le sol de cette planète ? ». Il réalise pour cela une expérience qui reste aujourd'hui encore une véritable prouesse : il fait passer le rayonnement d'objets ayant des températures proches de la température ambiante dans un prisme en sel gemme (Melloni avait montré que cette matière n'absorbait pas les infrarouges, quelle que soit la température de la source) et en plaçant son bolomètre derrière le prisme, il parvient à remonter au spectre du rayonnement. Il découvre alors, chose capitale pour l'effet de serre atmosphérique, que le rayonnement du Soleil et le rayonnement de la Terre sont essentiellement découplés : ce ne sont pas les mêmes longueurs d'onde qui arrivent sur Terre (proche UV, visible, infrarouges proches) et qui repartent de la Terre (infrarouges moyens). Comme l'écrit Langley lui-même en 1886 : « … nous constatons que la chaleur rayonnée par le sol est d'une qualité presque totalement différente de celle qui est reçue du soleil, et donc que les processus importants par lesquels la température élevée de la surface de la planète est maintenue peuvent désormais être étudiés… ». Ces mesures permettent les premières estimations quantitatives de l'effet de serre par Svante Arrhénius en 1896 [12].

4. La thermopile de Moll et la caméra thermique : deux capteurs « modernes » d'infrarouges moyens

  • Objectif : introduire deux capteurs sensibles aux infrarouges moyens plus modernes, la thermopile de Moll et la caméra thermique, et expliquer leur principe de fonctionnement.

D'après la section 2, les corps ayant des températures proches de la température ambiante et qui suivent la loi du corps noir émettent essentiellement des infrarouges moyens (longueur d'onde du maximum d'émission proche de 10 µm). Nous introduisons ici deux capteurs « modernes » permettant de mettre en évidence ce rayonnement : la thermopile de Moll et la caméra thermique.

4.1 La thermopile de Moll

La thermopile dite « de Moll », du nom du physicien qui développa ce capteur en 1922, est un modèle de thermopile relativement proche du modèle original de Nobili et Melloni. Il est proposé à la vente par des fournisseurs de matériel pédagogique pour quelques centaines d'euros (décembre 2024). L'absorbeur (surface noircie) a un coefficient d'absorption du rayonnement constant dans une très large gamme spectrale, allant des ultraviolets (≅ 150 nm) aux infrarouges lointains (≅ 20 µm). La tension mesurée aux bornes de la thermopile est proportionnelle à la puissance rayonnée vers le capteur (mesurée par rapport au rayonnement du fond qui sert de référence à la thermopile) et le signal est amplifié par un réflecteur conique placé à l'entrée du tube, figure 7. Pour notre modèle, la sensibilité est de 0,14 µV/µW et le temps de réponse de 40 s (pour 95% du signal).

Exemple de thermopile de Moll, avec une photo à gauche et un schéma de principe à droite

Figure 7.  Exemple de thermopile de Moll, avec une photo à gauche et un schéma de principe à droite

Sources : photo de gauche : PHYWE, schéma de droite : Julien Delahaye et al.


4.2 La caméra thermique

Dans les caméras thermiques standard, la détection du rayonnement infrarouge moyen est généralement réalisée par un réseau de microbolomètres, figure 8. Associé à des éléments d'optique, ce réseau permet d'obtenir une image du rayonnement émis, avec un temps de réponse de seulement quelques dizaines de millisecondes.

Les augmentations ou baisses de températures des différents bolomètres sont directement reliées à la puissance du rayonnement reçu en différents points de l'image. Ils sont traduits en températures des corps émetteurs à partir de nombreuses hypothèses, dont leur émissivité. Nous parlerons par la suite, pour cette raison, de températures apparentes. Une différence notable avec la thermopile de Moll, et qui aura son importance par la suite, est que les caméras thermiques ne détectent le rayonnement que dans un intervalle réduit de longueurs d'onde, typiquement entre 8 et 14 µm. Elles ne sont donc pas sensibles à la gamme du visible et des infrarouges proches. Une réponse spectrale typique est reproduite sur la figure 9 et comparée à celle (idéale) d'une thermopile de Moll.

Émissivité d'une surface

L'émissivité d'une surface est un nombre sans dimension compris entre 0 et 1. Elle est définie comme la fraction de puissance radiative émise par cette surface par rapport à la puissance qui serait émise si cette même surface se comportait comme un corps noir (voir section 2).

Elle dépend de la nature de l'émetteur et elle varie généralement avec la longueur d'onde (on pourra, par exemple, consulter un tableau de valeurs : https://www.thethermograpiclibrary.org). Deux objets à la même température mais ayant des émissivités différentes n'émettront ainsi pas la même puissance radiative et seront donc « vus » par la caméra avec des températures apparentes différentes.

Des expériences supplémentaires dans la partie 6 permettent d'illustrer les notions d'émissivité et de température apparente (voir section 6).

Réponses spectrales relatives typiques pour une caméra thermique standard (en bleu) utilisant un réseau de micro-bolomètres et pour une thermopile de Moll (en rouge)

Figure 9.  Réponses spectrales relatives typiques pour une caméra thermique standard (en bleu) utilisant un réseau de micro-bolomètres et pour une thermopile de Moll (en rouge)

Pour la caméra thermique, la réponse spectrale augmente rapidement autour de 7,5 µm et baisse progressivement à partir de 10 µm jusqu'à 16 µm.

Sources : d'après FLIR


Les expériences qui suivent ont été réalisées avec la caméra thermique Pocket2 du fabricant HIKMICRO. Elle peut être installée sur un trépied d'appareil photo et permet, pour un coût de 600 € - 700 € (décembre 2024), de visualiser en direct les images sur un écran d'ordinateur, et donc de les vidéo-projeter, ce qui est très utile pour des démonstrations devant des élèves ou du public.

La réponse spectrale de notre caméra thermique n'est pas connue (la notice précise juste qu'elle détecte le rayonnement infrarouge entre 7,5 µm et 14 µm), mais elle ressemble probablement à la courbe bleue reproduite sur la figure 9.

Remarque :

Quelques animaux disposent de « capteurs » sensibles aux infrarouges moyens (certains serpents, scarabées ou chauve-souris) ce qui leur permet de repérer des proies « chaudes » y compris la nuit.

Les crotales ont un organe sensible aux infrarouges dans leurs fossettes loréales (entre les yeux et les narines). Cet organe permet de repérer des corps chauds de façon directive à 30 cm.

Source : d'après Jeffdelonge, Wikipedia.

5. Expériences avec une thermopile de Moll

  • Objectif : utiliser une thermopile de Moll pour mettre en évidence le rayonnement infrarouge émis par différents corps : verre d'eau chaude, corps humain, etc.

Première étape : réglage du « zéro » correspondant à la température ambiante. On laisse suffisamment longtemps le capteur tourné vers une zone à la température ambiante (mur, plaque en métal, etc.). La tension résiduelle (en principe très faible) mesurée aux bornes de la thermopile est notre tension de référence, que l'on peut annuler en faisant le zéro sur le voltmètre (voir photo de gauche de la figure 11).

Deuxième étape : bocal en verre avec eau chaude. On tourne ensuite la thermopile vers un bocal en verre rempli d'eau plus chaude que la température ambiante : la tension augmente rapidement (voir photo au centre de la figure 11). Cette augmentation traduit un excès de rayonnement (infrarouge moyen) sur l'absorbeur de la thermopile (sa température augmente). En approchant ou en éloignant la thermopile du bocal, on mesure une augmentation ou une diminution du signal.

Troisième étape : bocal en verre avec eau froide. Que se passe-t-il à présent si on fait la même chose avec un bocal rempli d'eau plus froide que la température ambiante ? Une tension négative apparait, qui traduit un « déficit » de rayonnement (voir photo de droite de la figure 11). C'est dans ce cas l'absorbeur qui émet plus de rayonnement infrarouge qu'il n'en reçoit du bocal (sa température baisse).

Quatrième étape : corps humain. Quand on tourne la thermopile vers le visage ou la main de quelqu'un, dont la température est plus élevée que la température de la pièce, la tension augmente rapidement au-dessus de sa valeur de référence (0 mV ici).

Remarque :

Si le montage de décomposition de la lumière d'une ampoule halogène avec un prisme est encore en place (voir section 4 article [1/3]), on peut déplacer la thermopile dans le spectre en partant du bleu et en allant au-delà du rouge (en ajoutant éventuellement une fente sur le tube conique de la thermopile pour cibler une zone plus étroite du spectre). Le signal augmente quand on se déplace vers le rouge, signe d'un échauffement, et continue d'augmenter quand le capteur se trouve au-delà du rouge : ce capteur détecte donc bien la lumière visible et infrarouge.

6. Expériences avec une caméra thermique

  • Objectif : utiliser une caméra thermique pour mettre en évidence le rayonnement infrarouge émis par différents corps ayant des températures proches de la température ambiante, et comprendre les notions d'émissivité et de température apparente.

Remarque :

Sur les images infrarouges qui suivent, les températures apparentes affichées par la caméra thermique sont obtenues en supposant une émissivité des surfaces de 0,97 (valeur par défaut de la caméra). Si l'émissivité d'une surface dans la gamme de longueurs d'onde détectées par la caméra est inférieure à cette valeur, la température réelle de cette surface sera supérieure à la température apparente affichée. Attention : la présence de reflets infrarouges peut également fausser l'interprétation des images.

Expérience 1. Pour commencer, diriger la caméra thermique vers un groupe de personnes. Avec la palette de couleurs choisie, les visages, plus chauds que le reste de la pièce, apparaissent en jaune sur fond bleu-violet, figure 12. On insistera sur le fait qu'aucun rayonnement visible n'est détecté par la caméra : si la pièce était dans le noir total, l'image serait inchangée. Ce type de caméra, qui permet véritablement de « voir dans le noir », a d'ailleurs été développé à l'origine pour des usages militaires.

Image infrarouge d'un groupe de personnes assis derrière des tables

Figure 12.  Image infrarouge d'un groupe de personnes assis derrière des tables

Les températures « Cen », « Max » et « Min » qui s'affichent en haut à gauche de l'image correspondent aux températures apparentes des spots blanc (centre de l'image), rouge (température apparente maximale) et bleu (température apparente minimale). L'émissivité de la peau étant très proche de celle choisie par défaut pour la caméra (0,97), la température apparente d'un visage, donnée ici par le spot rouge (« Max »), est proche de la température réelle (37°C).

Source : Julien Delahaye et al.


Quand une personne porte des lunettes, on constate quelque chose d'étonnant : on ne voit pas ses yeux derrière les lunettes. Les verres des lunettes sont opaques aux infrarouges moyens (voir expérience 3 et section 2 article [3/3]) et ce sont ici les infrarouges moyens émis par les verres (émissivité proche de 1), à une température proche de celle de l'air de la pièce, qui sont détectés par la caméra thermique.

On peut également s'amuser à détecter des « traces » de chaleur, comme la trace d'une main laissée un certain temps sur un pull ou sur un cahier, la trace des fesses sur une chaise, etc. La zone chauffée émet plus d'infrarouges, avant de se thermaliser à la température ambiante.

Expérience 2. Diriger ensuite la caméra vers deux bocaux en verre posés sur une table et contenant respectivement de l'eau plus chaude et de l'eau plus froide que la température de la pièce. Le bocal d'eau chaude apparait en jaune sur fond fuchsia, le bocal d'eau froide en bleu foncé, figure 13.

Images de deux bocaux en verre remplis d'eau chaude et d'eau froide, dans le visible à gauche, dans l'infrarouge moyen à droite

Figure 13.  Images de deux bocaux en verre remplis d'eau chaude et d'eau froide, dans le visible à gauche, dans l'infrarouge moyen à droite

Les températures « Cen », « Max » et « Min » correspondent respectivement aux températures apparentes du mur (23,5 °C), du bocal d'eau chaude (47,6 °C) et du bocal d'eau froide (17,8 °C). Ces deux dernières valeurs sont proches de celles qu'on obtient en trempant un thermomètre dans l'eau des bocaux (même si c'est ici la température apparente du verre, opaque aux infrarouges moyens, qui est affichée, voir expérience 3).

Source : Julien Delahaye et al.


Expérience 3. Faire tomber des gouttes d'eau froide dans un bocal en verre rempli d'eau chaude. Si cette expérience est faite avec de l'eau froide colorée en bleu, on voit les gouttes d'eau froide qui tombent dans l'eau chaude en lumière visible (gauche de la figure 14) alors que bocal reste uniformément jaune sur l'image infrarouge (droite de la figure 14).

Si par contre on fait tomber des gouttes d'eau froide sur la paroi du bocal en verre, alors l'écoulement d'eau froide est clairement visible (violet sur fond jaune) avec la caméra thermique, figure 15.

Ces observations sont une conséquence de l'opacité aux infrarouges moyens du verre et de l'eau liquide (voir aussi section 2 article [3/3]). Sur les figures 13 et 14, c'est l'émission infrarouge du verre du bocal, chauffé par l'eau à l'intérieur, et non celle de l'eau elle-même, qui est détectée par la caméra thermique.

Quand de l'eau est déposée sur le bocal, c'est au contraire l'émission infrarouge de l'eau (froide) qui est détectée, et plus celle du verre. Les émissivités du verre et de l'eau sont proches de 1.

Expérience 4. Déposer sur un bocal en verre un ruban adhésif d'aluminium, et des rubans adhésifs isolants électriques blanc et noir, puis remplir le bocal d'eau chaude.

Bocal en verre rempli d'eau chaude. Un ruban adhésif d'aluminium et des rubans adhésifs isolants électriques blanc et noir ont été déposés sur la surface du verre

Figure 16.  Bocal en verre rempli d'eau chaude. Un ruban adhésif d'aluminium et des rubans adhésifs isolants électriques blanc et noir ont été déposés sur la surface du verre

Sur l'image infrarouge (à droite), les températures apparentes du verre et du ruban adhésif blanc (spots blanc et rouge) sont très proches (respectivement 59°C et 62°C), alors que celle du ruban adhésif d'aluminium est proche de la température du fond.

Source : Julien Delahaye et al.


La température apparente du ruban d'aluminium est proche de celle du fond, alors que les températures apparentes des rubans isolants électriques blanc et noir sont proches de celle du verre, figure 16. Ces différences, alors même que les températures réelles à la surface de tous ces matériaux sont très proches, s'expliquent par des différences d'émissivité : proche de 1 pour le verre et les rubans isolants électriques (quelle que soit leur couleur !), l'émissivité est proche de 0 pour le ruban d'aluminium. Le ruban d'aluminium n'émet donc quasiment pas de rayonnement infrarouge moyen : sa température apparente est donnée par le rayonnement infrarouge environnant qui se réfléchit à sa surface.

Expérience 5. Observer les reflets d'un bocal d'eau chaude dans un miroir classique et dans une plaque d'aluminium.

Dans les deux cas, figure 17, les reflets sont bien présents sur les images de la caméra thermique. Le rayonnement infrarouge suit les lois de la réflexion, comme le fait la lumière visible, conformément à sa nature d'onde électromagnétique.

On note également que la température apparente du reflet est très différente dans les deux cas : elle est proche de la température apparente du bocal avec la plaque d'aluminium, mais beaucoup plus faible avec le miroir classique. Cette différence s'explique par l'existence pour le miroir classique d'une plaque de verre protectrice de plusieurs millimètres d'épaisseur placée devant la couche métallique réfléchissante. Cette couche de verre absorbe les infrarouges moyens (voir expérience 3 et section 2 article [3/3]), et c'est donc le reflet très atténué sur la plaque de verre (beaucoup moins réfléchissante dans l'infrarouge moyen que la plaque d'aluminium) qui est détecté par la caméra.

7. Bilan radiatif de la Terre : étape 2

La Terre reçoit de l'énergie du Soleil, essentiellement sous forme de lumière visible et d'infrarouges proches (voir article [1/3]). Une partie de cette énergie est absorbée et échauffe la surface de la Terre. C'est l'émission d'un rayonnement infrarouge (infrarouges moyens, en rouge foncé sur la figure 18) qui permet à la température de la surface de la Terre de ne pas augmenter indéfiniment. La température d'équilibre est atteinte quand la Terre émet vers l'espace la même quantité d'énergie qu'elle en absorbe, soit 240 W/m2. En supposant une loi d'émission de corps noir, pour que la Terre émette par rayonnement 240 W/m2, sa température en surface doit être de -18 °C (avec un maximum de rayonnement infrarouge autour d'une longueur d'onde de 11 µm, loi de Wien). Cette température est évidemment très éloignée de la moyenne de 15 °C mesurée en surface, il manque donc quelque chose dans notre schéma : les gaz à effet de serre (voir section 6 article [3/3]).

Étape 2 du bilan radiatif simplifié de la Terre

Figure 18.  Étape 2 du bilan radiatif simplifié de la Terre

Les infrarouges moyens émis par la Terre sont représentés par une flèche rouge foncé.

Source : Julien Delahaye et al.


Références

[1] Effet de serre, une illustration remise dans son contexte, Delphine Chareyron et Olivier Dequincey, avril 2023. CultureSciences Physique - ISSN 2554-876X.

[2] William Herschel a décrit ses expériences dans quatre articles, tous publiés en 1800 dans les Philosophical Transactions of the Royal Society of London, volume 90, respectivement p. 255-283, p. 284-292, p. 293-326, et p. 437-538.

[3] À la découverte des infrarouges, 1ère partie : l'expérience d'Herschel comme introduction à l'effet de serre, Julien Delahaye, Aude Barbara, Olivier Cépas, Céline Goujon, Yvonne Soldo et Sylvie Zanier, à paraître au Bup.

[4] Fluorescence et phosphorescence, site 123couleurs.fr.

[5] Page Wikipédia Sunlight.

[6] À la découverte des infrarouges, 2ème partie : spectrométrie avec un prisme et des thermomètres, Julien Delahaye, Aude Barbara, Olivier Cépas, Céline Goujon, Yvonne Soldo et Sylvie Zanier, à paraître au Bup.

[7] Rayonnement, opacité et effet de serre, Patrick Thollot et Olivier Dequincey, juin 2021. CultureSciences Physique - ISSN 2554-876X.

[8] Recherches sur plusieurs phénomènes calorifiques entreprises au moyen du thermomultiplicateur, Nobili et Melloni, Annales de chimie et de physique, 1831, p.198. Notice : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb343780820

[10] La chaleur, mode de mouvement, 2e édition française, traduite de l'anglais sur la 4e édition par M. l'abbé Moigno, John Tyndall, 1873, p234. Notice : http://ark.bnf.fr/ark:/12148/cb31508169j

[11] The infrared pioneers – III. Samuel Pierpont Langley, E. Scott Barr, Infrared Physics, Vol. 3, p.195, 1963.

[13] Observations on Invisible Heat Spectra and the Recognition of Hitherto Unmeasured Wavelengths Made at the Allegheny Observatory, Samuel Langley, American Journal of Science, Vol.s3-31, issue 181, 1886. Notice : https:/​/​doi.org/​10.2475/​ajs.s3-31.181.1

Pour citer cet article :

Des infrarouges aux gaz à effet de serre - Expériences et explications pour comprendre les phénomènes en jeu (2/3), Julien Delahaye, Aude Barbara, Olivier Cépas, Céline Goujon, Yvonne Soldo, Sylvie Zanier, avril 2025. CultureSciences Physique - ISSN 2554-876X, https://culturesciencesphysique.ens-lyon.fr/ressource/Infrarouges-GES_Delahaye-2.xml

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